mercredi 19 janvier 2011

Interdit, de Karine Tuil, 2010, Grasset.

Il est indéniable que l’interdit est une chose qui à la fois nous arrête et nous fascine. En cela, le roman de Karine Tuil est tout à fait fidèle à son titre.

Interdit est un roman qui laisse un arrière-goût amer et piquant. Il suscite, chez le lecteur, un mélange de sentiments hétéroclites : drôle tout en étant tragique, triste en étant humoristique, agréable en étant oppressant, Malsain en restant plaisant… et vice-versa. Si l’on pouvait réduire ces impressions en un seul mot, il s’agirait probablement de confusion. Non pas que le texte soit confus, loin de là, mais le terme traduit bien l’état d’esprit à la fois du lecteur et du narrateur. Pour éviter que cette critique ne suive un chemin semblable, quelques éclaircissements s’imposent.

L’histoire est celle de Saül Weissmann, un vieil homme juif qui a survécu à la déportation et aux camps de la mort en 45. Alors qu’il est sur le point de se marier, Saül apprend qu’il n’est, en réalité, pas vraiment juif. Et ce, malgré soixante-dix ans passés dans le respect de la loi juive et sa déportation à Auschwitz. Cette déclaration du rabbin résonne aux oreilles du vieil homme comme une sentence et l’ébranle jusqu’au plus profond de son être. Cette négation de son identité l’entraine toujours plus loin dans une folie qui semble ne jamais devoir prendre fin.
Dédoublement de personnalité et paranoïa se mêlent à l’horreur des camps et à la peur, qui reviennent le hanter. Son esprit devient le théâtre d’un affrontement sans fin entre « les deux Weissmann » : d’un côté le Juif, attaché à son enseignement et à son devoir de mémoire, et de l’autre le non-Juif, dont la soif de liberté le conduit à l’antisémitisme radical.

Pourtant, Interdit n’est pas un roman sur la judéité. C’est un roman sur un homme qui passe sa vie à passer d’une prison à une autre. Celle des camps, puis sa propre prison, celle de sa condition juive, de ses devoirs, et enfin celle du mariage. Un emprisonnement de soixante-dix ans qui débouche sur une névrose destructrice et libératrice.

Malgré ce sujet extrême, le texte ne verse pas dans l’invraisemblance ou le ridicule. Es nombreuses exagérations et répétitions sont justifiées car elles ne sont que le symptôme de cette folie qui ronge l’esprit de Weissmann. Le thème de la déportation, d’abord présent en filigrane, se fait de plus en plus présent, imposant, percutant voire envahissant à mesure que les obsessions du narrateur se développent. De façon paradoxale, ce sont les passages caricaturaux qui fondent le réalisme de l’histoire, tout en apportant une dimension comique, comme le montre ce passage sur le chat de Saül, qui introduit le sentiment de persécution du vieil homme : « Je me sentais désemparé : c’était la première fois qu’il m’agressait ; jamais il n’avait eu le moindre geste antisémite à mon égard. » Par la suite, ce délire « d’agression antisémite » va s’étendre au personnage lui-même à travers sa double personnalité, transformant ses tentatives de suicide en tentatives de meurtre contre « son Juif ». D’autres passages, encore, jouent sur des variations brusques dans la syntaxe et la ponctuation, accentuant encore le propos pour entrainer le lecteur dans les délires de Weissmann.

Interdit est donc un texte surprenant, mais surtout intelligent, qui se lit à la fois avec plaisir et un sentiment de malaise.
Sentiment qui sera bien vite dépassé avec la dose de second degré nécessaire pour apprécier ce texte comme il le mérite.

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