La sorcière, une douce cruauté
Marie Ndiaye, jeune prodige de la littérature, avec la
publication à ses dix-sept ans de son premier livre Quant au riche avenir, et sa
consécration avec l’obtention du prix Goncourt en 2009 pour Trois femmes puissantes, ne cesse de
nous éblouir par son talent et sa volonté de montrer la dureté que l’on peut
retrouver chez l’être humain. La Sorcière,
parue en 1996, fait donc partie des livres où la cruauté détruit la vie.
Lucie, mère de
jumelles âgées de douze ans, est une sorcière qui peut percevoir l’avenir et le
passé. Mais, à sa grande frustration, elle n’est pas très douée pour exercer ce
pouvoir qu’elle a hérité des femmes de sa famille. Elle va à son tour
transmettre ce don à ses filles malgré le dégoût de son mari pour cet état de
sorcière. Les deux adolescentes qui se révèlent talentueuses prennent goût à
l’utilisation de leur pouvoir et aspirent à la liberté. Tout le monde de Lucie
commence alors à s’effondrer : la tristesse et la solitude
l’envahissent, et elle fait face à la dureté de ses proches et à leur
indifférence.
Marie Ndiaye, avec
une sorte de tendresse, nous décrit des relations familiales chaotiques,
l’impuissance d’une personne à mener sa vie telle qu’elle l’entend, et le basculement
de toute une vie, et de nombreux aspects auxquels le mystère et la magie se mêlent.
Ce roman est plutôt dur, il incite à s’interroger sur le bonheur, sur la
séparation avec l’être aimé ou encore sur la disparition pure et simple de
l’attachement que l’on éprouve pour une personne, avec notamment le personnage
de Pierrot, le mari de Lucie, qui ne l’aime plus : « l’existence
tranquille que vous avez menée tous les quatre il en a eu le dégoût ». Et
dans un même temps l’aspect fantastique du livre, qui déroute le lecteur et
atténue la cruauté dans le texte, semble
être présent pour expliquer ce mal-être ambiant : la différence nous fait rejeter l’autre.
Cette œuvre
peu connue du grand public, montre les prémisses du genre dans lequel s’inscrit
Marie Ndiaye, qui est celui du « réalisme magique » où le fantastique
est au service de l’explication de notre monde réel.
Une expérience
littéraire et humaine à découvrir.
La Sorcière par Marie
Ndiaye
Les éditions de Minuit, collection de poche
« double »
173 p. paru en 2003