mardi 22 septembre 2009

Les montres molles


Les montres molles de Claude Ponti, édition Ecole des loisirs

Décidément ce monsieur monsieur ne sait pas trés bien qui il est.

Montre molle quand il rencontre une montre molle, boule quand il se met en boule, cube quand il pense à un cube ou éléphant quand un éléphant lui traverse l’esprit, il est toutes ces choses à la foi, multiple et protéiforme, en perpétuelle recherche d’identité ; et il n’y a guère que la belle mademoiselle moiselle qui lui permet de redevenir lui même.

Cette jolie petite histoire que nous conte Claude Ponti, entre surréalisme et onirisme, ou se rencontre l’œuvre de Dali et les poèmes de Jean Tardieu est une magnifique quête initiatique. Le dessin, à la foi simple et enfantin mais se révélant d’une grande efficacité, accompagne un texte épuré de tout effet de style superflu.

La petite fille du port de Chine, de Agnès Bertron-Martin et Anne Buguet

La petite fille du port de Chine danse pour oublier les malheurs qui pleuvent sur son peuple. Le Dragon-Serpent, un monstre redoutable, pille régulièrement le village de ses richesses et sème la terreur sur son passage avant de retourner dans son antre, au fond de l’eau. Depuis des millénaires, personne n’a jamais réussi à l’arrêter, et pourtant, lorsque le jeune marchand se fait happer par le monstre, l’amour que la petite fille du port de Chine porte au garçon viendra à bout de cette menace.

Un peu de poussière d’étoile, de l’encre de Chine et un rayon de lune : nous voilà emportés dans un tourbillon féerique où la beauté de la danse occupe une place centrale.

Néanmoins, les tons ocres et la sobriété des illustrations s’opposent au caractère fantastique et merveilleux du conte traditionnel. Anne Buguet s’inspire de la peinture asiatique et les dessins, quoique originaux et détaillés, restent assez fades et ternes, alliant des tonalités brunes, violettes et jaune foncé.

Par ailleurs, l’écriture de Agnès Bertron-Martin se révèle simpliste et plutôt répétitive dans ses formules. Le récit repose sur des événements intéressants mais se traîne un peu malgré des tonalités poétiques agréables.

La petite fille du port de Chine, de Agnès Bertron-Martin et illustré par Anne Buguet, Les petits albums du Père Castor, Flammarion, 2006.

Le Cheval de Craie, de Pierre Gabriel



Le Cheval de craie, de Pierre Gabriel, Illustrations de Patrice Mazoué, Collection le Farfadet Bleu, éditions le dé bleu, 1997

Le Cheval de Craie est la dernière œuvre de Pierre Gabriel, et a été publié à titre posthume. Ce receuil de poèmes à été écrit à l’origine pour le petit fils de l’auteur et « pour tous les enfants du monde ».
Il contient trente-six poèmes qui évoquent des thèmes très simples mais qui, sans manifester une grande qualité littéraire, attirent l’œil et offrent aux enfants un premier éveil à la poésie tout à fait convaincant. Peuvent en témoigner ces titres : « Le Cheval de Craie, Pensée-rêve, C’est le vent, Le Temps, Le voyage, Le songe en cage, La bougie, Les quatres pies, etc. »
L’écriture en elle-même est très simple, agréable à lire et facile à comprendre pour des jeunes enfants. Ils peuvent facilement mettre une image sur les mots et très facilement s’amuser avec les rimes. Pierre Gabriel écrit en vers libre et en vers court Il n’y a pas deux poèmes qui se ressemblent mais la variation des thèmes permet aux jeunes lecteurs de naviguer sur les pages à leur guise. Ses poèmes se contruisent sur des voix en échos qui se répondent ; ainsi on entend parfaitement les rimes et surtout la musicalité qui émane de ces vers. D’ailleurs, les illustrations de Patrice Mazoué permettent aux enfants de mieux se représenter les thèmes et les personnages des poèmes tout en répondant par le dessin à la musicalité poétique des vers de Pierre Gabriel.

En définitive, ce receuil posthume de Pierre Gabriel est représentatif de l’Homme et de son œuvre. Il présente la poésie comme quelque chose de simple et d’accessible à tous. L’adresse aux enfants est d’ailleurs particulièrement bien choisie car qui mieux que les enfants peuvent entendre la poésie.

Pour rendre hommage à ce poète, abandonnons-nous à :

L’ESPOIR
Je ne dis pas : Il est trop tard,
Nous avons laissé se mourir la terre,
Elle ne portera plus
Les fruits de la lumière
Et ses graines de vie.
Je dis : Le ciel demeure
Ouvert au soleil, aux étoiles,
Tous les arbres n’ont pas péri,
Les feux brûlent aussi de joie.
Je ne dis pas : Il fait si noir
Que les hommes ne peuvent plus voir
Le visage de ceux qu’ils aiment,
Ils ont oublié le silence
Mais ne savent plus se parler.
Je dis : Chaque aube tient promesse,
Elle te rend ce que la nuit
Avait effacé pour toujours,
Les fleurs, l’espoir, le goût du vent
Sur les plages bleues du matin.
Je ne dis pas : Les sources sont taries.
Je dis que rien jamais n’est perdu,
C’est à toi de creuser plus profond
Pour que l’eau pure à nouveau jaillisse.
extrait de C'était hier et c'est demain, éd. seghers, 2004

Petit Prince Pouf, Agnès Desarthe et Claude Ponti, L'école des Loisirs, 2006

Une collaboration réussie entre Agnès Desarthe, initialement traductrice, qui est l’auteur de nombreux romans pour enfants, et Claude Ponti, l’un des piliers de la littérature jeunesse, célèbre pour son écriture originale et créative et ses qualités d’illustrateurs.

Cet album apprendra aux enfants qu’on ne doit pas juger sur les apparences, à travers l’histoire de Pouf. Ce jeune prince de deux ans au nom étrange et amusant va faire la connaissance de son précepteur, Monsieur Ku. Celui-ci va tout de suite se rendre compte que Pouf n’est pas un enfants comme les autres, lorsqu’il le traite avec respect lors de leur première rencontre, malgré son nom, souvent sujet de moqueries. L’enseignement du professeur, en apparence assez vide, amènera le roi et la reine à mal le juger et à vouloir son départ. Pourtant, au travers de ses leçons simples, il apprend la vie au jeune enfant et ses leçons feront leurs preuves à la fin de l’histoire, quand le prince triomphera du méchant conseiller du roi.

L’histoire est en apparence assez banale et la morale plutôt commune, mais Agnès Desarthe nous transporte dans un univers poétique et plein d’humour, renforcé par la qualité des dessins de Claude Ponti, véritable invitation au rêve. Une fois de plus, leur talent font de cet ouvrage un livre agréable et amusant, qui ravira petits et grands enfants.

Le Mammouth, de Marcel Aymé

Le Mammouth fait partie d’une série de contes de Marcel Aymé : Les nouveaux contes du chat perché. Cet album jeunesse, au style particulier, transporte les lecteurs dans un monde où les animaux parlent et où le quotidien d’une famille est bousculé par l’arrivée d’un bien étrange visiteur…

L’histoire se déroule dans une ferme habitée par une famille de paysans. Les parents, un peu rustres mais aimants, élèvent leurs deux filles au milieu des animaux de la ferme. Un matin, un mammouth se présente à leur porte et, devant l’insistance de leurs filles, ils décident de l’adopter. Le récit est riche mais utilise parfois des images littéraire crues, représentant le quotidien de la campagne. Par exemple, un coq qui pleure la mort d’un canard sous les pattes du mammouth, se trouve tellement inconsolable qu’on décide de lui tordre le cou ; ou encore le cochon qui se laisse égorger de tristesse. Néanmoins, le personnage du mammouth donne lieu à des scènes émouvantes telles que les élans de solidarité qui gagnent les animaux de la ferme, ou encore les scènes de jeux avec les enfants.

L’histoire aurait pu être traitée de manière plus intéressante, on peut regretter l’absence de rebondissements tout au long du récit. Seule la fin présente un peu d’action : le mammouth quitte la ferme un temps, après avoir émis le souhait de rentrer en Sibérie. De longs mois plus tard, alors que les fermiers n’espéraient plus, il revient accompagné d’un petit mammouth. Malgré un texte dense, les illustrations sont présentes. On peut néanmoins regretter leur aspect peu travaillé : les contours sont imprécis, les personnages mal représentés et les couleurs peu uniformes.

Mammouth – Un nouveau conte du chat perché, Marcel Aymé, illustrations de Claudine et Roland Sabatier, éditions Gallimard jeunesse, 1997

Riquet à la Houppe, de Charles Perrault, illustré par Ronan Badel

Larousse revient sur le devant de la scène avec une merveilleuse collection. « Mes premiers contes » remettent au goût du jour les classiques de nos enfances. C’est avec nostalgie que l’on contera, entre autre, Riquet à la Houppe à nos chère têtes blondes.
Le texte original du célébre fabuliste Charles Perrault (1628-1703) est agrémenté d’illustrations, à l’aquarelle, naïves qui font écho au sujet principal.
Car comme tout bon conte, nous n’avons pas seulement affaire à une belle histoire de prince pas très charmant et princesse pas très maligne. On y trouvera une morale sur les valeurs humaines à transmettre.

Car notre héro n’est pas beau, il boite, et est affublé d’une crinière indomptable. Comment trouver l’amour d’une belle princesse avec de pareils handicaps? Fort heureusement il est aussi doté d’un esprit vif et intelligent. Et comme les contes sont bien fait, il existe dans le royaume une magnifique princesse, un peu cruche, et maladroite, qui acquerra de l’esprit à force de fréquenter Ricquet. Puis grâce au pouvoir de l’amour, notre jolie princesse ne verra plus que la beauté intérieure de son prétendant. Ils vécurent heureux et eurent plein d’enfants.

Une histoire à l’apparence banale, mais les vertus des deux personnages sont omniprésentes, et permettront à votre enfant d’être plus enclin à apprécier l’intelligence à la force, et à ne pas se fier aux apparences. Encore une belle victoire pour Charles Perrault !

Chaque tome de la collection abordera ainsi des grands principes moraux, avec des personnages populaires comme Blanche-Neige, Hansel et Gretel ou encore Le Chat Botté.

La Princesse et le dragon, de Robert Munsch et Michael Martchenko

Les contes de fées sont tous les mêmes : « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… », des histoires qui se finissent bien, où la belle princesse épouse le beau prince à la fin. Mais les héros de contes de fées ont, eux aussi, des défauts. La Princesse et le dragon, c’est l’histoire d’une princesse, Élisabeth, qui doit épouser un beau prince un peu hautain, Ronald. Mais un dragon va mettre fin à ce doux projet, engloutissant le château. Il kidnappe le jeune prince et Élisabeth se retrouve seule, sans aucun apparat, nue. Elle doit se contenter d’un sac en papier comme robe, ce qui n’est pas digne d’une princesse, mais, étant dans la nécessité… L’apparence n’a plus d’importance quand on est seule et qu’on a tout perdu. Elle va tout faire pour retrouver son bien aimé et ainsi suivre les traces du dragon jusque sa tannière. Un peu d’ingéniosité lui permettra d’épuiser le dragon, à bout de souffle. Elle court donc délivrer son preux chevalier mais celui-ci n’a pas la réaction escomptée par la belle : « Regarde ta robe ! » Et oui, ce prince n’est pas parfait et privilégie l’apparence aux sentiments contrairement à la petite Élisabeth qui préfère laisser tomber son bien aimé. Morale de l’histoire : faut-il mettre un sac en papier pour vérifier l’amour de son chéri ? Non bien sur, mais cette histoire, si enfantine paraît elle, n’en reste pas moins une belle petite leçon sur l’apparence qui règne.

Bien que l’histoire soit de qualité, les illustrations sont néanmoins plutôt décevantes car elle manquent de couleurs. En effet, les illustrations paraissent fades et sans vie, presque comme des brouillons inachevés qui n’auraient pas reçu un coup de pinceau final.

Robert Munsch est l'auteur qui vend le plus de livres jeunesse au Canada. En 1986, il publie Love You Forever, qui se vend à plus de 30 000 exemplaires et devient le livre pour enfants le plus vendu au Canada.

La Princesse et le dragon, de Robert Munsch et Michael Martchenko, éditions Talents Hauts, 2005, 25 pages.

Imagine de Norman Messenger, Le Seuil Jeunesse, 2005

« Imagine un monde où les choses ne seraient pas ce qu’elles semblent être » Difficile à imaginer, et pourtant Norman Messenger fait travailler notre imagination avec un livre fantasque et original qui s’ouvre par une porte qui nous laisse perplexe : sommes-nous dedans ou dehors ?

Imagine est le premier album de Norman Messenger publié au Seuil Jeunesse en 2005. L’auteur est un illustrateur reconnu à travers le monde, fondateur de l’« Association of Illustrators » en Angleterre et lauréat du prix Redbook aux Etats-Unis pour La Maison d’Anabelle.

Ce livre interactif interpelle le lecteur, petit ou grand, et lui fait découvrir un monde différent où tout semble pouvoir arriver. Comme le dit l’auteur « observe bien. » C’est le secret, semble-t-il, pour accéder à un monde fait de bizarrerie et de fantaisie. On suit Norman Messenger par cette porte curieuse et on se laisse entraîner dans le pays des géants, la forêt de la sorcière et une ville sans dessus-dessous. Le lecteur expérimente aussi la transforation des animaux grâce aux nombreux rabats et créé ainsi une girafe avec une crinière de cheval, des bois de cerf, un corps de tigre et une queue de singe. De quoi, vous faire tourner la tête.

Les illustrations magnifiques pourraient se passer des quelques lignes qui les accompagnent. Elles nous laissent découvrir à notre guise ce qu’apporteraient des petits changements dans notre monde bien carré et droit et ce qui bouleverseraient nos habitudes. Il suffit juste de laisser son imagination vagabonder le temps de quelques pages…


Imagine de Norman Messenger, Le Seuil Jeunesse, 2005

mardi 15 septembre 2009

Le requiem de Franz, Pierre charras. Mercure de France, septembre 2009

Pierre Charras nous invite dans l’intimité de Franz Schubert en nous faisant vivre avec lui ses derniers instants.

1828 : le compositeur a 31 ans, il a composé plus de mille lieds et se meurt de la syphillis. Sa peur de la mort l’amène à s’accrocher à ses souvenirs

Il évoque alors les figures aimées, et nous laisse remonter avec lui le fil de sa vie :

Il y a sa mère, la seule femme à l’avoir aimé, mais aussi Thérèse, le premier amour qu’il n’a jamais cessé de rechercher. Il raconte aussi les jeunes filles indifférentes, autant d’objets de mystère pour l’artiste qui n’a jamais su s’en approcher.

Bethoveen est le maitre incontesté aimé en silence, le génie qui laissa à sa mort un disciple dévasté mais soulagé. Mozart, dont le génie et l’influence sont évoqués vient s‘asseoir aux côtés d’Hayden, de Bach et de Goethe pour saluer l’artiste au seuil de sa mort. Sont aussi racontés les concerts de Pagannini où un Schubert exalté entrainait ses amis.

Il nous parle de ses journées à deux temps, entre le travail, les amis et l’ivresse. On entend alors combien sa musique a été soutenue par ses amis qui n’ont cessé de l’encourager en s’enthousiasmant pour son art ; ces compagnons joyeux et passionnés dont il n’aurait pu se passer et qu‘il divertissait au café, en se noyant dans le vin.

Charras nous propose une lecture très humaine du musicien. Son portrait, dressé par le personnage de Schubert lui même, se déroule sur le rythme d’une prière funéraire, et s’achève sur un requiem. Le musicien imagine cette symphonie et se refuse à mourir. L’auteur nous propose l’image d’un homme qui ne peut s’arrêter de créer, et cède à la musique et à son rêve de reconnaissance ses derniers instants. C’est le récit simple et moderne d’un homme malheureux qui dédie son existence à l’amour des autres et à la musique. La prose est légère et le récit est émouvant dans sa simplicité. On s’attache au musicien et à son univers. L’auteur de 19 secondes et de Bonne nuit, doux prince évite les détours chronologiques, et parvient dans ce petit roman d’une centaine de pages, à esquisser un dessin où apparaît un jeune homme tourmenté dont la vie s’écrit ici au rythme d’une prière.

Deux querelles : une cadette épineuse et l’humanité divisée, Pierre Bergounioux, édition Cécile Defaut, 2009


Ces deux « querelles » que nous expose Pierre Bergounioux sont fondamentales pour la compréhension de notre culture contemporaine. La première, magnifiquement présentée dans un court essai au style lumineux, voit s’opposer « la corporation des écrivains », enfants des bois et de la nature abondante et s’exprimant originellement sous la forme du mythe, aux philosophes, les cadets épineux, nés de la ville et de la division du travail et revendiquant une prééminence dans le discours de vérité, au risque de concurrencer le monopole exclusif de la narration.

La seconde querelle, dévellopée dans un essai beaucoup plus court que le premier, mais dans un style toujours aussi bien maitrisée, oppose cette fois ci, les deux idéologies, les deux promesses de notre modernité : d’une part, la promesse libérale, d’origine anglo-saxonne, de la prospérité, d’une société d’abondance enfin libérée de la nécessité et, d’autre part, la promesse égalitaire, née pendant la révolution francaise et se réactivant par à coup révolutionnaire.

Cet exercice de style auquel se livre Pierre Bergounioux, au delà de ses qualités purement littéraires, est riche de multiples résonnances qui éclairent notre temps et notre culture. Mais il peut être aussi considéré comme un manifeste, comme une déclaration d’amour de l’auteur à la philosophie, c’est indispensable complément à la littérature qui permet à celle-ci de transcender la banalité du quotidien, et à l’iédologie égalitaire, à l’heure où sa concurrente anglaise c’est entièrement réalisée et à même sombrée dans un consumérisme sans limites.

Ce livre est un appel à la réactivation de la philosophie et de l’idéologie révolutionnaire, seul antidote à la banalité de la fiction sans concept et de la consommation sans idéal.

Deux querelles : une cadette épineuse et l’humanité divisée, édition Cécile Defaut, 2009

lundi 14 septembre 2009

Lydie Salvayre, BW, 2009, édition du Seuil

Un hymne à la littérature et à la vie, qui selon BW ne peuvent exister l'une sans l’autre...

Lydie Salvayre n’en est pas à son premier roman, La compagnie des spectres (prix Novembre en 1997) ou encore Portrait de l’écrivain en animal domestique (2007) avait déjà suscité les éloges des critiques et du public. Mais ce nouveau livre de la rentrée littéraire a ceci de particulier qu’il n’est pas un roman à proprement parler, mais qu’il se situe plutôt à la frontière entre biographie et autobiographie. En effet, le récit est rédigé à quatre mains, l’auteur se faisant le scribe de son compagnon. Le « je » et le « tu » se mélangent d’un dialogue à l’autre, pour retrouver la profusion et la richesse du ton de la discussion. L’auteur écoute son ami, lui répond, l’admire, fait des apartés au lecteur comme entre amis, après un bon repas arrosé.
Malgré la légèreté et le ton complice que l’auteur met en place, le sujet du livre reste grave: le compagnon de l’auteur, B.W. (Bernard Wallet) ancien éditeur illustre, est en train de perdre la vue (triste ironie pour un lecteur passionné) tandis que la littérature, aux prises avec l’économie de marché, se meurt. Deux destins liés depuis longtemps, autour de la maison d’édition Verticales fondé par BW en 1997. « Verticales » comme les pentes de l’Himalaya qu’il a arpentées dans sa jeunesse, « verticales » comme les falaises afghanes qui abritaient le bouddha détruit par la folie des talibans, « verticales » comme le fait de rester debout face à la normalisation, la « best-sellerisation » de la littérature…

BW raconte sa passion pour le livre, sa carrière de coureur à pied, les voyages sans un sou, le besoin de fuir sa famille et la France pour connaître le monde et intrinsèquement sa violence, sa folie mais aussi sa beauté. Ce texte est un hymne à la littérature et à la vie, qui selon BW ne peuvent exister l'une sans l’autre. Mais c’est aussi un règlement de compte avec le monde de l’édition : la loi des financiers, les consensus mous, le mercato entre les auteurs qui changent « d’écurie », l’appauvrissement effectif de la littérature.

Ce livre qui n’est pas un roman, flirte pourtant avec le romanesque car la vie de BW est emplie de rencontres et d’aventures toutes plus exceptionnelles les unes que les autres. Néanmoins le livre connaît quelques travers liés à la relation qu'entretiennent les deux personnages : l'auteur admire son compagnon et décrit parfois les activités de l'éditeur de manière dithyrambiques. En effet, de la tonalité joviale de la discussion et de la profusion du propos, naît aussi la faiblesse du récit, parfois exprimé avec une emphase excessive.

mardi 8 septembre 2009

Tels des astres éteints, Léonora Miano

Léonora Miano entreprend de scruter l’âme de l’Afrique dès son premier roman L’intérieur de la nuit. Elle continue sa réflexion dans Contours du jour qui vient. Tels des astres éteints, son 4e roman, vient clore le cheminement d’un continent de l’errance jusqu’au possible apaisement.

Epa est un enfant soldat enrolé de force dans l’armée d’Isilo qui s’est donné pour mission de renverser le pouvoir en place et débarrasser le Continent de toutes ses sangsues (comprenez les Occidentaux et leurs hommes de mains locaux). La guerre civile s’étend, les troupes d’Isilo gagnent du terrain, pendant que le doute s’installe dans l’esprit d’Epa. Il finit par s’échapper et rencontre Ayané qui le soigne.

L’Afrique ne sait pas de quoi elle se meurt, ou plutôt refuse de le savoir. Alors une force maléfique plane sur le Mboasu. Elle hante le continent. Elle est lourde, destructrice, impalpable, et sévira « tant qu’on ne lui aura pas fait droit ». Cette force représente les exhalaisons des hommes morts lors de la traite négrière. Ils réclament de sortir de l’oubli, ils réclament qu’on les délivre de leur errance, ils réclament qu’on leur offre une sépulture, car « il n’est nulle part de puissant, qui foule aux pieds la mémoire de ses défunts ». Ce roman est un appel à l’Afrique, à ériger un monument à la mémoire de ses morts, à regarder ses plaies béantes pour parvenir à les panser.

La réflexion de l’auteur est soutenue par une écriture profonde, poétique, qui semble sortir de ses entrailles autant que de celles de la terre qu’elle raconte. Le roman est rythmé par le cri de douleur de ces défunts qui sonnent comme des prophéties, intercalées entre chaque chapitre. Il se termine par l’universalisation du propos de l’auteur : « A ceux qui se demandent en quoi cette question intéresse d’autres que les Africains et leur diaspora, nous rappelons simplement que toute violence faite à l’autre est une violence faite à soi-même. C’est donc l’humanité dans sa globalité qui a été offensée, et qui le demeure, tant que le silence pèse. »

Tels des astres éteints, Léonora Miano. Plon, août 2009, 275p.

La vaine attente, Nadeem Aslam

L’Afghanistan est un pays déchiré par les guerres depuis bientôt trente ans. Durant tout ce temps, le pays a été le théâtre d’invasions diverses, motivées par la volonté de suprématie et le profit. Les bombardements, les attentats et les meurtres font partie du quotidien des Afghans, atrocités auxquelles s’ajoute une guerre civile.

La vaine attente est le deuxième roman de Nadeem Aslam. Cet écrivain anglo-pakistanais profite une seconde fois de sa double culture pour nous livrer un roman fort, parfois dur, qui nous fait découvrir un pays déchiré par les guerres et la cruauté humaine. Son premier livre, « La Cité des amants perdus », se déroulait dans une communauté pakistanaise de Londres. Il mettait en scène un couple déchiré entre la volonté de modernité et le poids des traditions.

Cette fois-ci, l’auteur nous plonge au cœur de l’Afghanistan de 2005. Nous y suivons quatre personnages d’horizons totalement différents : un Anglais qui s’est établi dans le pays après son mariage avec une Afghane ; une Russe à la recherche de son frère, un soldat soviétique ; un Américain, ancien agent de la CIA et un jeune Afghan enrôlé par les talibans. Tous sont en quête d’un parent disparu, de réponses, d’un idéal, et surtout d’eux-mêmes. À travers leurs histoires, on découvre la culture d’un pays et ses habitants, qui tentent de vivre malgré la guerre. Chaque personnage nous délivre un pan de l’histoire de ce pays et nous amène dans des lieux tantôt remplis de parfums et de poésie, tantôt suffocants, au coeur des montagnes ou à travers les ruelles de villages typiques. Chaque centimètre de terre porte en lui le souvenir d’événements passés, tragiques ou heureux. Les destins se croisent et les diverses nationalités tentent de s’apprivoiser, de mettre de côté préjugés et rancœur. On découvre le rôle joué par leurs pays respectifs dans cette interminable guerre, on voit comment chacun a été personnellement touché et a pu voir sa vie basculer, même à des milliers de kilomètres de distance.

Ce livre nous transporte dans un monde où la violence nous apparaît à nous, qui en sommes loin, comme insupportable. Les personnages sont tous confrontés, au moins une fois, à la souffrance, tant physique que psychologique. Néanmoins, l’émotion et la beauté occupent une grande place, notamment à travers de très belles descriptions de paysages ou de parfums. Les éléments du récit s’emboîtent parfaitement autour des quatre personnages principaux, dont les origines opposées permettent à l’auteur d’aborder et d'expliquer de nombreux événements historiques. Au moyen de flashbacks, l’auteur nous montre que chaque pays a sa part de responsabilité dans la situation actuelle de l’Afghanistan. Chaque camp a contribué à des cruautés ainsi qu’à la mort de centaines de civils. C’est cette somme de points de vue divergents qui permet de comprendre l’histoire trouble de ce pays, sacrifié par la bêtise humaine. La vaine attente est un roman qui nous emmène loin, à la fois dans la violence et dans la beauté.

La vaine attente, de Nadeem Aslam. Traduit de l’anglais par Claude Demanuelli. Éditions du Seuil, 2009 , 386 p., 22 €.

Le Jeu de l'Ange de Carlos Ruiz Zafón

Quel écrivain n’a jamais rêvé d’écrire le livre ? Celui qui déchainerait les foules, passionerait les critiques, et qui déclencherait des guerres et des tueries. C’est ce qu’un homme mystérieux aux prunelles noires et à la gueule de loup demande à l’écrivain David Martín : « lui écrire un livre n’ayant jamais existé ».

Dans la fantastique Barcelone des années 20, entre un amour impossible et une amitié perdue, David n’aura de cesse de rattraper ses erreurs.C’est alors qu’il découvrira que l’homme mystérieux a tout d’un Méphisto aux ailes noires. Et même si son âme est déjà perdue, il fera tout pour protéger les personnes qui lui sont chères du destin funeste qui les attend. Mais la vérité n’est pas toujours celle que l’on croit…

Carlos Ruiz Zafón est un véritable prodige de la mise en scène et de la narration ; Il s’interroge avec pertinence sur la place de l’écrivain dans la société et offre un renouveau au genre fantastique. Il est parfois difficile de savoir où commence le rêve et où s’arrête la réalité dans ce livre tant l’auteur excelle à emporter le lecteur exactement là où il veut. Les personnages sont allégoriques, et sont habilement associés à des thèmes particuliers qui leurs délivrent une humanité encore plus importante. Isabella peut donc réprésenter la jeunesse et la vivacité d’esprit là où Cristina est assimilée à la pureté et à la détresse amoureuse. Il y a véritablement plusieurs genres qui s’enchâssent dans ce roman, d’une part le fantastique qui reste présent tout au long du récit, mais également le policier qui prend une place plus grande à mesure que l’histoire se dévoile. On peut également évoquer le récit autobiographique fictif car ce récit est conté à la première personne par l’intermédiaire du héros David Martín.

Le style de l’auteur (tout du moins du traducteur) est agréable à lire et à entendre, les passages narratifs sont bien construits et le lecteur n’est pas sujet à la somnolence récurrente que provoquent certains romans actuels. Il y a là un travail conséquent de la part du traducteur qui cherche à reproduire le souffle de l’auteur et qui, au vu du résultat, a parfaitement réussit son contrat. Les descriptions des lieux invitent le lecteur à se les imaginer et l’on se prête parfois à rêver des vieilles rues de Barcelone. Les lieux jouent d’ailleurs une place centrale dans le roman car ils sont à l’image de leurs habitants, comme si ils n’étaient qu’une partie du corps des personnages.

Les mauvaises langues pourront dire ce qu’elles veulent, Le Jeu de l’Ange est bien une réussite et même si la ressemblance avec son prédécesseur L’Ombre du Vent est flagrante, il n’a rien à lui envier. Le cadre est identique et les personnages tout aussi attachants mais cette fois l’auteur a créé une somptueuse fresque littéraire où se croisent un Don Juan amical, une princesse malheureuse, une jeune mégère non apprivoisée, un assassin cherchant à échapper à son destin, un vieux libraire attachant, un Mephisto à l’allure de dieu de la mort et un écrivain talentueux mais déchu qui peut se transcender en ange.

Loin des bras de Metin Arditi, roman

Voici un singulier roman abordant les difficultés de la reconstruction psychologique, dix ans après la guerre. On y croise à travers une succession de courts chapitres haletants, des personnages complexes, blessés par la vie, qui ont autant de mal à s’aimer qu’à accepter l’aide des autres. Tous sont professeurs et ont trouvé à l’Institut Alderson, pensionnat suisse pour enfants aisés, un refuge confortable. Mais des difficultés financières risque d'entraîner son rachat, et un changement de vie radical pour ces écorchés.

Après La pension Margueritte (Prix Lipp, 2006) et La Fille des Louganis (Prix Version Fémina, 2007) Metin Arditi signe ici un chef d’œuvre. Beaucoup ont déjà écrit sur la guerre, mais peu se sont attardés avec autant de brio sur sa continuité et ses répercussions désastreuses dans de nombreuses vies. Divers sujets sont ainsi traités avec délicatesse comme la honte d’avoir été collabo, la douleur du deuil, le pacifisme déguisé en lâcheté, l’antisémitisme, les amours jugés contre nature…

Autant de personnalités différentes qui, durant la guerre se seraient entre-tuées simplement pour ce qu’ils étaient et aujourd’hui doivent se fréquenter. Ils se cherchent des excuses pour leurs agissements et apprennent la tolérance. Dans un livre palpitant, rythmé par la danse, la photographie, le théâtre et la littérature qui y sont omniprésents, c’est un voyage initiatique qui commence. Et c’est travers ces arts que chaque personnage va se libérer, et trouver ainsi une voie pour s’exprimer.

Une fois de plus Metin Arditi aborde la psychologie avec pudeur, et nous prouve que même les moments les plus difficiles à surmonter nous apportent leurs lots d’expériences. De plus, l’espoir de s’en sortir n’est pas vain, malgré les nombreux efforts à fournir. Les activités artistiques sont des véritables exutoires par lesquels les personnages exultent et attestent du pouvoir de l’art, quel qu’il soit, par la libération de l’esprit. Après tout, que l’on soit acteur d’une pièce de théâtre, ou photographe, nous sommes tous égaux devant ces activités car c’est la technique et l’amour de l’art qui nous rassemble .

L’auteur nous offre un vibrant hommage à l’Art, et à ses vertus térapeuthiques.

« Vous avez honte n’est ce pas ? C’est ça, la consolation. C’est quand on est prêt à être blessé à nouveau. Un beau jour, le passé se fait plus petit. Et on a honte de mieux vivre. »

La Délicatesse, David Foenkinos

Faut-il avoir peur du bonheur ? Peut-on être heureux toute une vie ? La Délicatesse, c’est tout d’abord une histoire entre Nathalie et François, deux amoureux qui vivent une idylle, le parfait amour, celui qui énerve les autres dont le patron de Nathalie. Un amour spontané, évident et délicat, une parfaite harmonie entre deux êtres : une histoire qu’on aime lire, à laquelle on veut croire… Mais le bonheur va s’arrêter au bord d’une rue, à cause d’une banale livraison de fleurs d’un amant qui voulait se marier.


Nathalie se retrouve seule, son mari décédé. Elle a la tête plongée sous l’eau et doit se ressaisir, refaire surface. Elle reste un temps chez elle, rongée par le deuil, puis elle décide de reprendre son travail chez Krisprolls. Sa délicatesse et sa beauté lui permettent d’obtenir une promotion de son patron qui est fou d’elle. Elle va ainsi gérer une équipe et s’occuper du fameux dossier 114.


L’intrigue ne repose pas seulement sur cette histoire, non, elle repose sur un baiser donné gratuitement. Nathalie n’a jamais su pourquoi elle avait embrassé son nouveau collègue venu lui apporter le dossier 114, ça lui a pris comme ça. Mais Markus ne compte pas en rester là, il va se battre pour qu’elle lui explique son geste et la conquérir pour de bon, bien que le monde qui les entoure y soit hostile : un patron jaloux, des collègues médisants. Le monde a-t-il perdu toute délicatesse ?


Dans ce huitième roman, David Foenkinos décline encore une fois un thème qui lui est cher, l’amour, et aborde tout autant le thème du deuil. Avec une écriture à la fois grave et désopilante, il parsème son récit de petites digressions dont la recette du risotto aux asperges, le nombre de langues dans lesquelles on peut lire La Modification de Michel Butor, les horaires du Paris-Lisieux, des articles de journaux ou les paroles d’une chanson. Cela part dans tous les sens, mais l’histoire est là, chacun de ses détails étant étroitement intégré. La Délicatesse, un livre à consommer sans aucune modération.


David Foenkinos, La Délicatesse, Gallimard, 2009, 200 p.

Trois femmes puissantes, de Marie Ndiaye

Trois femmes puissantes raconte la solitude. Celle de trois femmes qui se battent en silence contre une existence, un homme, un destin.

La première, Norah, retourne au Sénégal après des années d’absence pour répondre à l’appel de son père, un homme distant et froid qu’elle connaît bien peu. Elle laisse derrière elle son métier d’avocate, sa vie de famille qui ne lui convient plus, sa fille qu’elle adore, ainsi que l’homme qui partage sa vie et qu’elle a appris à mépriser. Elle quitte la France pour retourner à ses racines, pour tenter de comprendre, de poser des mots sur ce malaise qu’elle porte en elle depuis l’enfance.
Fanta, jeune professeur de lettres dans un lycée sénégalais, suit son mari en France pour commencer une nouvelle vie. Elle croit que son insertion se fera en douceur, puisqu’elle est mariée à un français. Elle croit qu’elle pourra enseigner, qu’ils vivront heureux comme ils l’ont toujours fait, avec leur petit garçon. Mais son mari, davantage préoccupé par sa honte et son désir de fuite, s’est bien gardé de lui expliquer que son diplôme ne vaut rien dans ce nouveau pays. Elle se retrouve tributaire d’un homme absent, rongé par la culpabilité, qui ne ressemble plus à l’homme qu’elle adorait et pour lequel elle a tout quitté. Elle se mure dans le silence et lui offre son indifférence, puisqu’il lui a pris sa vie.
Khady Demba est veuve. Son mari est mort sans qu’elle ait pu être enceinte. Elle se retrouve du jour au lendemain sans ressource, sans famille, sans appui. Elle est recueillie par sa belle-famille, qui la méprise et lui en veut de n’avoir pas su enfanter. Un soir, sa belle-mère lui ordonne de partir, de tenter le passage de la frontière française pour y retrouver une lointaine cousine, et ainsi envoyer de l’argent à la famille, au Sénégal. Commence pour Khady une vie d’humiliations, de souffrances et de luttes, une existence où tout n’est que trahison, où chaque rencontre l’éloigne de son but et la laisse diminuée, blessée à jamais.
Ces femmes sont seules, elles se débattent dans leurs contradictions et luttent à leur manière contre le mensonge et la trahison. Elles sont seules, mais le récit les rapproche. Des détails, des personnages leur sont communs et créent des liens de parenté entre elles, les rendant en quelque sorte moins seules dans leur quête d’un bonheur qu’elles savent inatteignable.

Trois femmes puissantes est un recueil de trois récits à cheval entre la France et le Sénégal. Chacune de ces femmes part, arrive ou revient. C’est un récit de mouvement, mêlant deux cultures, deux façons d’exister. Les personnages sont tiraillés par le doute, proches de l’égarement.
Marie Ndiaye, elle-même fille d’un père sénégalais et d’une mère française, raconte avec précision le choc des cultures, la vie sur chacun de ces deux continents, les mœurs et les coutumes propres à ces cultures très éloignées l’une de l’autre.
Si les événements et les trois différents récits attirent le lecteur par leur intensité, leur force, et leurs sujets en liens étroits avec l’actualité, l’écriture de Marie Ndiaye peut paraître complexe, opaque et exagérément sinueuse. La longueur des phrases, l’absence de verbe parfois ou de fil conducteur montre évidemment la complexité des personnages, le cheminement de leurs pensées, brouillées et profondément blessées. Mais ces particularités syntaxiques peuvent également dérouter le lecteur, et par là même faire perdre de sa force au récit, pourtant profond et intense.

Trois femmes puissantes,
Marie Ndiaye. Gallimard, 316p., 19 euros.

Hors champ, Sylvie Germain, Albin Michel (196 p.)

« J’ai peur, je ne comprends plus rien, ni à moi ni aux autres. J’ai l’impression de m’effacer à leurs yeux, vais-je m’effacer aussi aux miens ? » Lorsque l’on devient invisible aux yeux du monde, existe-t-on encore ? Voilà la question que soulève le nouveau roman de Sylvie Germain, auteur de la Rentrée Littéraire déjà récompensée pour ses écrits, le Grand Prix Jean Giono pour Tobie des Marais, le Prix Femina pour Jours de colère et le Prix Goncourt des lycéens pour Magnus.

À travers une « genèse à rebours », Aurélien, parisien d’une cinquantaine d’années, sort du champ. Il disparaît peu à peu, devenant flou, image brouillée, comme celle que projetait la visionneuse qu’il a réparé presque miraculeusement avant son étrange transformation. Lui, alors séduisant et souvent remarqué, devient presque invisible, percuté par inadvertance, ignoré, omis par le monde autour de lui. Ce n’est pas uniquement son être et son empreinte sur les photos qui s’effacent, c’est son existence entière qui s’évanouit. Il est délaissé puis entièrement oublié par ses collègues, sa petite-amie, sa propre mère. Il devient peu à peu spectateur du monde, contraint à la passivité avec tout ce que cela peut comporter de frustrant mais surtout d’angoissant. Au commencement de notre lecture on peut espérer naïvement qu’une explication, réaliste ou non, sera apportée. L’atmosphère lyrique et poétique, chère à l’auteur, nous laissera cependant perplexe dans la scène finale.

Sylvie Germain nous offre un troublant paradoxe. Plus elle dévoile son personnage, développe ses souvenirs, révèle ses habitudes du quotidien et ses traits de caractère, plus celui-ci disparaît. On peut alors prêter de nombreuses explications à ce conte. Est-ce un questionnement sur l’angoisse de la solitude ? Une réflexion sur notre propre image dans une société envahie par les apparences ? Ce roman fantastique offre une liberté d’interprétation qui le rend simple et accessible.

L.A. Story de James Frey

Los Angeles « les appelle et ils croient en elle », voilà comment l’on pourrait résumer cette attirance inexpliquée qu’ont les hommes pour L.A. Avec L.A. Story, James Frey trace une chronique du Los Angeles contemporain avec ses paillettes, ses promesses, ses violences, ses vices mais surtout ses rêves… et ses cauchemars.

L’auteur attire dans son roman des dizaines de personnages venus de tous les horizons, de tous les milieux et nourrissant toutes sortes d’espérances. Mais on s’attache surtout à ce jeune couple qui a fui son Ohio natal pour une vie meilleure à Los Angeles et qui essaie tant bien que mal de survivre malgré les difficultés qui s’accumulent ; à une Latino-Américaine, intelligente mais complexée qui se laisse abattre après avoir été humiliée ; à un acteur en pleine gloire, narcissique et manipulateur qui poursuit une envie impossible et dangereuse et à ce vieil alcoolique qui a élu domicile dans des toilettes publiques et qui voit sa vie paisible bouleversée par une jeune fille à moitié morte qui a atterri sur le pas de sa porte. Ils ne sont, cependant, qu’un échantillon de toutes les âmes perdues qui viennent s’échouer chaque jour dans la Cité des Anges.

Entrecoupé d’une chronologie de la ville et de faits divers, L.A. Story est un roman bouleversant et sans faux-semblant où l’on perçoit l’envers du décors d’une ville où tout semble pourtant réalisable. Un roman remarquable qui nous est offert par un auteur talenteux. En quelques mots, une ville pleine de promesses et un livre plein de désillusions.

Originaire de l’Ohio et résidant à New York, James Frey est l’un des auteurs les plus célèbres mais aussi les plus contestés des États-Unis. Même si L.A. Story est souvent considéré comme son premier roman, ses deux précédents livres, Mille morceaux et Mon ami Léonard sont déjà parus en France.


James Frey, L.A. Story, traduit de l'anglais par Constance de saint-Mont, Flammarion, 2009, 495 p.