Dans un dernier souffle
César, Hannibal ou
Napoléon n’ont eu de cesse de l’égaler. Dresser le portrait d’Alexandre,
c’est peindre le divin. Pourtant, c’est bien l’agonie de l’homme, sa faiblesse
devant la fièvre et sa mort, enfin, qu’a choisi d’écrire Laurent Gaudé dans le
très beau Pour seul cortège.
Célèbre mosaïque retrouvée à Pompéi et représentant Alexandre Le Grand lors de la bataille d’Issus.
Loin de la furie des armées, du
bruit des sabots et du sang des vaincus. Au cœur de l’or de son palais, dans
l’ivresse du vin, de la danse et de la musique s’introduit, inattendue, une douleur
qu’Alexandre ignore d’abord, nargue et qui soudain le terrasse. Celui qu’on
croyait invincible est tombé, la fièvre
a gagné et toute lutte est vaine. Déjà, il le sent, il va mourir.
Aux confins de l’empire galopent
des cavaliers aux ordres de celui qui ne règne déjà plus. Ils viennent la
trouver. Elle, Dryptéis, fille de Darius et femme d’Héphaiston, maudite aïeule
des Scorta. Elle qui a fuit l’empire depuis la mort de son époux, elle qui sait
si bien que l’ambition détruit, elle qui a vu brûler son palais, mourir son
père pour la Perse qu’Alexandre désirait tant. En suivant les cavaliers armés,
elle sent qu’elle abandonne la quiétude des plaines pour reprendre le chemin de
la folie, de Babylone. « C’est la volonté d’Alexandre… »
Dans une écriture du deuil et
du désespoir, l’auteur de La Mort du Roi
Tsongor écrit presqu’en chuchotements, en cris étouffés, la douleur de la
perte et la crainte de ce qu’elle annonce. « C’est la guerre, oui…
Dryptéis se souvient d’Alexandre revêtant les habits de Darius après sa
victoire, "Ce qu’ils font
aujourd’hui, je l’ai fait hier."» Le cortège funéraire d’Alexandre avance sans hâte. Dryptéis
parmi les pleureuses écoute la voix du mort qui lui parle encore mais déjà
le souffle des guerres fratricides gronde et prédit le déchirement de l’empire.
L’intérêt nouveau des écrivains
pour les reconstitutions littéraires, pour cette inspiration d’un nouveau genre,
révèle au lecteur des moments oubliés de l’Histoire comme les jours noirs qui
suivirent la mort d’Alexandre. L’an passé, le projet d’un pont dessiné mais jamais
construit devenait le prétexte à la description sulfureuse et charnelle du
séjour Michel-Ange à Constantinople. Et, plus récemment, l’aventure d’un médecin
presque anonyme nommé Yercin menait le lecteur à sa fabuleuse découverte, celle
du bacille de la peste. Mathias Enard, Patrick Deville.
Unique, l’écriture de Laurent
Gaudé, sans prétention aucune, choisit ces chemins où tout homme se
retrouve un jour seul, sentant la force inépuisable du vent, le sable dans ses
yeux. Les mots de Gaudé approchent la nature humaine sauvage et puis la révèlent,
dans son horreur et sa beauté. Se montrent alors l’amour, l’ambition,
l’honneur, la solitude et la modestie forcée, imposée quand l’homme dénudé par
le monde se retrouve à genoux. Dans Ouragan,
le cyclone détrônait l’homme ; ici la mort du seul d’entre eux qui pouvait
tenir une terre et la préserver des tourments laisse son peuple dans l’errance, la sécheresse des ruines.
Et le soleil brûlant n’épargnera aucun visage. Alors, du Nil à l’Indus, la
seule prise sur la vie semble de décider de sa mort pour changer le cours de
l’Histoire, pour ceux qui sont nés du sang. « Elle sent que tout est
accompli. Elle sera, pour l’éternité, une mère silencieuse qui contemple
l’enfant, loin de tout, dans l’immensité du vent. »
Pour seul cortège de Laurent Gaudé chez Actes Sud, août 2012, 18 euros
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