mardi 19 octobre 2010
Le Murmure des dieux, Roxane Marie Galliez et Cathy Delannsay, 72 pages, Balivernes Editions.
Nicholas Dane, Melvin Burgess
Petites Histoires pour les enfants qui s'endorment très vite, de Carl Norac et Thomas Baas, aux éditions Sarbacane
« C’est l’histoire d’un p’tit toutou. Quand c’est fini c’est tout.»
Le jeu, c’est de raconter l’histoire la plus courte possible, en vers de préférence. Une phrase ou deux pas plus. Le résultat est un petit bijou de poésie et de drôlerie, écrit par Carl Norac que l’on connaît déjà pour ses talents de conteur (Sentimiento, chez Bilboquet), et illustré par Thomas Baas affichiste qui s’essaie pour la première fois à l’illustration.
L’exercice se prête parfaitement au style de Carl Norac qui nous avait déjà régalé de son écriture légère et poétique dans Sentimento, sa version revisitée de Frankenstein, illustrée par Rebecca Dautremer.
Quant à l’illustration, minimaliste, un brin rétro, elle s’accorde parfaitement à la loufoquerie et à la brièveté du texte et rajoute même une dimension à l’histoire. Lorsque, par exemple, le texte raconte que « C’est l’histoire d’un caillou qui fait plouf. Un caillou à la mer ! À la fin, il est sauvé. Ouf ! », l’image montre effectivement un caillou qui s’apprête à tomber du haut d’une falaise, mais surtout l’homme auquel le caillou est relié par une corde et qui va bientôt sauter.
En fait, la brièveté de texte laisse à l’illustrateur la liberté d’interpréter les mots et, finalement, d’inventer l’histoire. C’est cette complémentarité du texte et de l’illustration qui fonde véritablement la qualité de l’album.
Chaque page, c’est-à-dire chaque illustration, est faite uniquement de deux ou trois couleurs, ce qui permet de façon astucieuse, de matérialiser l’idée qu’on change d’histoire à la page suivante, réalisée dans un autre ton de couleurs. On passe alors sans problème de l’humour burlesque à la poésie la plus tendre au fil des trente micros-histoires qui se suivent.
Petits et grands, vous ne vous lasserez pas de tourner les pages en papier épais de ce bel objet, car, vous l’aurez compris, ici connaître la fin de l’histoire ne gâche en rien le plaisir.
Lucile
La fille de son père , d’Anne Berest, ed. Le Seuil (160 p.)
« Pour la deuxième fois de ma vie, je me retrouve dans l’embarrassante situation d’assister à un enterrement auquel personne ne m’a conviée. »
Le roman s’ouvre sur ce curieux chapitre dont nous ne saisirons le sens qu’à la fin du récit, la narratrice y revit les principaux évènements qui ont conduit à la révélation d’un secret de famille. Sœur cadette, elle est celle qui paraît avoir le moins de prise sur son destin et se laisse porter entre la grande sœur autoritaire et l’attachante petite soeur. Le père, dépassé par ses trois grandes filles rousses a retrouvé une femme, mais l’image de la mère plane toujours sur la famille et dans la maison où son bureau est conservé comme un sanctuaire. Pour les trois sœurs, si proches dans leur jeunesse, le charme paraît s’être évanouit « Notre situation aujourd’hui est embarrassante, propre à celle des amants dont l’amour s’est éteint et qui s’en excusent l’un l’autre : pardon de ne plus t’aimer aveuglément ; pardon de ne plus te trouver si indispensable que ma vie en dépende. »
Le père essaie malgré tout d’entretenir le lien en organisant avec sa compagne Catherine, souvent maladroite, des réunions de famille. Lors de l’anniversaire d’Irène, l’aînée, Catherine excédée par ces filles qui forment un bloc face à elle et sont telles des « hyènes », craque et révèle un secret qui va bouleverser tout le monde. Ils vont tous devoir se remettre en cause ainsi que les liens qui les unissent. Certaines vont agir et d’autres se tairont. C’est à ce moment-là que les soeurs sans s’en rendre compte vont se rapprocher, car au final ce qui les lie est plus fort que tout le reste.
Le style d’Anne Berest est à la fois simple et travaillé, elle ne fait pas partie de ces jeunes auteurs qui essaient à tout prix de se démarquer dès leur premier livre. Si on a parfois du mal à s’identifier à la narratrice, qui est quasiment spectatrice de sa propre vie, on comprend tout à fait le choix de l’auteur. Pour finir, le lecteur se laissera tout autant berner que la narratrice et ne pourra prévoir le dénouement final.
Anne Berest est née en 1979. Elle vit et travaille à Paris. Lorsqu'elle n'écrit pas de romans, elle prête sa plume aux familles, écoute leurs récits et écrit leurs mémoires. La fille de son père est son premier roman.
Franck, Anne Savelli, Editions Stock
« On est passé de l’autre côté, ça y est. C’est fait c’est noté qu’on le sache. », invective la narratrice du nouveau roman d’Anne Savelli, Franck. « L’autre côté », c’est la prison et son parloir, une demi-heure par semaine.
Franck est un jeune adulte né en 1968, incarcéré en 1986 pour vol avec violence. La narratrice de ce récit est la jeune femme qui a aimé Franck, qui a passé des journées dans les transports, pour trente minutes de parloir, de Fleury-Mérogis à Béthune. Ils sont tous deux entrés dans l’enfer de leur vie à vingt ans à peine.
Incarcéré pour deux ans, Franck passa son enfance en famille d’accueil dans le Nord. Puis vient la vie dans les gares de métro, Jourdain, Oberkampf, Les Halles. Dormir dans les squats, aller dans les bars quand la manche a été bonne c’est la réalité d’une vie dans la marge, à côté d’une société qui les rejette et les ignore. Après c’est Fleury-Mérogis, le quotidien de la cellule et du parloir, les maisons d’arrêt, le juge, le tribunal.
Anne Savelli est née à Paris. Elle poursuivit des études de lettres et d’audiovisuel. Elle a publié son premier livre, Fenêtres/Open space aux éditions Le Mot et le reste en 2007. En septembre 2008 est paru un second livre, Cowboy Junkies, The trinity session /'til I'm dead, dans la collection Solo chez le même éditeur. Elle nous offre avec Franck, son troisième roman (Editions Stock, septembre 2010). Franck est un livre qui décrit le chemin emprunté par un homme indésirable, qui n’a ni su ni voulu trouver sa place. Il traîne un sac qui contient toute son existence : lettres, photos, papiers, minicassette et quelques livres, dont Le Vieil Homme et la mer d’Hemingway. Un sac contient une vie d’homme, lorsqu’on sort de prison.
Cet ouvrage établit le portrait d’une société tout entière en posant la question de l’homme en marge, rejeté et celle de la prison : comment vivre suite à un séjour entre ses murs ?
Anne Savelli nous peint cet aspect mal connu de nos sociétés dans une langue urbaine, sauvage et tendue. L’écriture nous frappe par la violence de son rythme, phrases emboîtées, paragraphes enchâssés.
Sa langue nous remue, nous retourne, et nous permet de ressentir avec force la solitude d’un homme en prison, mais plus encore celle d’une jeune femme qui aime cet homme.
Cet ouvrage laisse ouverte l’hypothèse qu’Anne Savelli soit elle-même la narratrice de l’histoire, ce qui donne encore plus de force au récit.
Pauline
Premiers printemps, Anne Crausaz, Editions MeMo, 2010.
« Regarde petite fille, comme tout devient vert, c’est le printemps ! » Le livre vient à peine d’être ouvert et sur la première page, figure cette petite phrase. Invité à se joindre à cette fameuse petite fille, le lecteur est directement plongé dans l’histoire. Que nous réserve le nouvel album jeunesse d’Anne Crausaz ? Diplômée en design graphique en 1997, elle reçut en 2009 le prix « Sorcière », récompense incontournable dans le domaine de la jeunesse, pour Raymond rêve, paru en 2007. Rendue célèbre grâce à ce petit escargot, désormais personnage phare, Anne Crausaz a su conquérir le cœur de nombreuses personnes, petites comme grandes, qui attendaient avec impatience la sortie de ce nouvel ouvrage jeunesse.
Destiné aux enfants dès leur plus jeune âge, cet album d’éveil est une invitation à découvrir, et redécouvrir le temps qui passe, notamment à travers la nature. Ce thème tient à cœur à Anne Crausaz, qui n’hésite pas à l’exploiter dans chacun de ses ouvrages. La nature a toujours beaucoup à nous apprendre. Dans ce livre, une petite fille découvre, au fil des saisons, ses cinq sens. Le texte étant discret, c’est avant tout une histoire graphique et poétique que nous offre Anne Crausaz dans cet ouvrage.
Comme à leur habitude, les illustrations d’Anne Crausaz sont pures et simples. On se laisse volontiers emporter dans son univers. A chaque page tournée, de nouvelles couleurs, de nouveaux objets, et surtout, un nouveau point de vue font leur apparition. La petite fille surgit sous nos yeux parfois. Majoritairement, c’est à travers ses yeux que nous observons la nature qui se transforme au fil du temps. Anne Crausaz nous interpelle : « regarde ! », « entends-tu ? », « écoute », le lecteur est, sans cesse, invité à explorer et observer lui aussi la nature qui l’entoure. Et puis, vint la fin de l’ouvrage. Le printemps fait son grand retour, une année est passée, et la petite fille devient alors grande. Ce n’est pas seulement un apprentissage sensoriel qu’Anne Crausaz apporte aux enfants à travers ce livre. Elle leur explique aussi le cycle des saisons, et les années qui passent. Et qui dit nouvelle année, dit enfant qui grandit !
Tout comme les saisons reviennent inlassablement chaque année, cet album jeunesse est à lire et à relire dès que revient le printemps !
Loup ne sait pas compter, écrit par Nadine Brun-Cosme et illustré par Nathalie Choux, éditions Père Castor (Flammarion)
Loup se rend compte lors d’une partie de cache-cache qu’il ne sait pas compter plus loin que trois. « Un, deux, trois… Mais après trois, qu’est-ce qu’il y a ? » répète-il sans cesse aux différents animaux qui croisent sa route : un lapin, un cochon et une vache. Ceux-ci, bien plus habitués à être poursuivis par le loup qu’à lui parler, se moquent de son ignorance et rient tellement qu’ils en roulent au sol. Loup, excédé, bondit sur la vache et menace de la manger s’ils ne lui apprennent pas à compter. À l’aide d’une petite comptine « Un, deux, trois, nous irons au bois… », les animaux lui enseignent les chiffres et finissent par prendre plaisir à sa compagnie. À la fin de l’album, la partie de cache-cache reprend et Loup peut montrer à tous que, désormais, il sait compter.
Cet album pour tous petits (à partir de 2-3 ans) permet d’apprendre à compter, de façon ludique et amusante, aux enfants. Mais plus qu’un livre d’enseignement, il s’agit ici d’une fable dont la morale est de ne pas se moquer de l’ignorance de ses camarades.
Si le texte est assez court, il est accompagné de belles illustrations simples et recherchées à la fois. Les matières sont travaillées en épaisseur, avec un jeu de motifs simples et répétés qui habille les fonds unis. Les couleurs sont constituées de différents tons qui leur confèrent du volume.
Nadine Brun-Cosme est l’auteur d’une dizaine d’autres titres jeunesse. Dans chacun de ses livres, elle tente de rapporter un sentiment et une atmosphère propre à l’enfance, ici, la honte et la moquerie.
Avec une formation en Arts Appliqués et Art Décoratifs de Paris, Nathalie Choux est illustratrice pour la jeunesse comme pour la presse et la publicité. Reconnue pour son talent, elle a notamment été publiée chez Sarbacane, Albin Michel Jeunesse, Nathan et Thierry Magnier.
Un bel album pour les jeunes enfants. Sa lecture peut aussi bien plaire aux parents qui découvriront la qualité de l’illustration, qu’aux enfants qui se reconnaîtront dans les différents personnages.
Princesses oubliées ou inconnues, Édition Gautier Languereau
Si je reste, de Gayle Forman chez Oh ! Éditions
Ce court roman jeunesse de deux cents pages conte l’histoire de Mia, une jeune fille de dix-sept ans. Mia a une vie comblée, une famille aimante, un petit ami guitariste dans un groupe de musique montant, une amie qui la soutient et une passion pour le violoncelle. Mais tout cela est brisé par une journée enneigée où les écoles sont fermées. En famille, ils décident de rendre visite aux grands-parents. Sur le chemin, la voiture est percutée par une camionnette. Mia découvre les corps de ses parents, morts sur le coup. Elle voit son petit frère être mis dans une ambulance, puis elle est elle-même transportée aux urgences.
Soudain, c’est le choc : elle s’aperçoit qu’elle est hors de son corps. Elle peut aller et venir, ainsi qu’entendre les conversations autour d’elle, mais sans pouvoir interagir avec ce qui l’entoure. À l’hôpital, Mia comprend qu’elle est dans le coma. En attendant son réveil, elle est une sorte de fantôme qui erre autour de son corps et de ses proches venus se recueillir sur son lit d’hôpital.
Et Mia, comme pour rester encore un peu accroché à ce monde, se rappelle : sa rencontre avec sa meilleure amie Kim, sa relation avec son petit ami Adam, la naissance de sa passion pour le violoncelle, ses liens avec sa famille.
Ainsi, entre souvenirs et présent, plongée dans le coma mais consciente de tout, Mia doit faire un choix. Celui de vivre ou de mourir. Elle va devoir peser le pour et le contre, voir des signes dans le passé et le présent. Un choix terrible quand on a dix-sept ans. Sur ce long chemin, ses grands-parents, sa meilleure amie et Adam sont là pour l’aider, à leur façon, à prendre la meilleure décision.
Gayle Forman signe avec Si je reste son troisième roman qui est le plus populaire. Cette quadragénaire américaine est à l’origine journaliste de profession. Elle écrit pour le magazine d’adolescents Seventeen avant de se lancer dans la littérature. Ses deux premiers romans n’ont pas encore été traduits en français. Le premier, You Can’t Get There From Here, est un livre sur le voyage, le second, Sisters in Sanity, est adressé aux jeunes adultes et aborde le sujet des centres de redressement pour les adolescents.
Avec Si je reste, Gayle Forman se plonge dans le thème de la disparition des proches. Il est le moteur du récit et y est abordé sans tabou. Pour Mia, il s’agit de passer outre la perte de cette famille aimée pour continuer à vivre.
Un roman émouvant, qui plaira aux adultes comme aux plus jeunes, et qui donne matière à réflexion sur ce thème qui préoccupe la société moderne.
« Je me rends compte maintenant que c'est facile de mourir. C'est vivre qui est difficile. »
Audrey
Jérôme FERRARI, Où j’ai laissé mon âme, 2010, Actes Sud, (140 pages).
« Je me souviens de vous, mon capitaine, je m’en souviens très bien, et je revois encore distinctement la nuit de désarroi et d’abandon tomber sur vos yeux quand je vous ai appris qu’il s’était pendu. » C’est ainsi que le lieutenant Andreani s’adresse au capitaine Degorce quelques années après la guerre d’Algérie.
Le capitaine Degorce est un rescapé des camps de concentration, un homme marqué par les différents combats qu’il a menés. Il a une femme et des enfants en France mais il ne sait plus quoi leur dire, son monde étant à l’opposé du leur. Il tente de prier mais n’y arrive plus.
Le lieutenant Andreani lui voue une admiration sans bornes, à la limite de l’amour, malgré leur vision différente de la guerre ; Andreani ne se pose pas de questions sur le bien et le mal, il exécute les ordres de manière détachée et sans sentimentalisme.
Les deux hommes se sont connus durant la guerre d’Indochine. Ils ont été tout deux prisonniers à Dien Bien Phu et c’est ce qui les a rapprochés ; « nous avons été engendrés par la même bataille, sous les pluies de la mousson.»
Mais en Algérie les choses ont changées, ils ne se comprennent plus. Andreani obéit aux ordres alors que Degorce ne les comprend pas tous et admire un commandant de l’ALN (Armée de Libération Nationale), Tahar.
Ce quatrième roman de Jérôme Ferrari, professeur de philosophie, traite d’un sujet encore sensible dans notre société : la torture des prisonniers algériens. Les tortionnaires sont évoqués comme des hommes quelconques luttant entre leur conscience et leur devoir.
Ce récit repose la question de la banalité du mal et de la relation entre victime et bourreau ; le capitaine Degorce victime des nazis, devient à son tour tortionnaire en Algérie. Comme le lieutenant Andreani le fait remarquer, « Aucune victime n'a jamais eu le moindre mal à se transformer en bourreau, au plus petit changement de circonstances. »
La narration est double, d’un côté il y a Andreani qui s’adresse de manière directe à Degorce lui livrant le fond de ses pensées sur les événements de la guerre et leurs conséquences. De l’autre nous suivons trois journées du capitaine, décrites à la troisième personne. À travers ces trois jours le lecteur peut appréhender les démons qui hantent Degorce jusqu’à la question finale ; qu’est il advenu de son âme ?
« Il a laissé son âme en chemin, quelque part derrière lui, et il ne sait pas où. »
La Clé des Songes de Régine Joséphine, illustré par Selma Mandine
La Clé des Songes, Régine Joséphine. 27p. Éditions Gecko.
Fidèles à leur politique éditoriale, les Éditions Gecko nous offrent un album travaillé qui aborde avec douceur le thème de l’autisme. L’ambition de la ligne éditoriale de Gecko tient en ces quelques mots : « La différence est une richesse ». À travers sa collection « Les mots-sésames », des thèmes difficiles comme l’Alzheimer, le syndrome de Rett ou l’autisme sont abordés, mais toujours de façon poétique et sans didactisme.
La Clé des Songes présente les mêmes ingrédients qu’un conte classique : un royaume, un roi, une reine, deux princesses et de la magie. Iléna, l’aînée des deux princesses, est une jeune fille étrange qui ne parle pas. Elle rit sans que l’on sache pourquoi, crie de toutes ses forces lorsqu’on l’approche. Maélys, la cadette, n’est pas proche de sa sœur. Contrairement aux autres, elle ne la craint pas, mais ne l’apprécie pas non plus, jalouse de l’attention que lui portent ses parents. Le roi et la reine sont bien embarrassés : le royaume se trouve oppressé par l’étrange comportement d’Iléna. Les enfants craignent de s’endormir, effrayés par ses cris. S’ils s’endorment, c’est sûr, elle les attirera dans son monde. Alors la Reine décide de remédier à la situation en créant des clés magiques, gardiennes des songes des enfants du royaume. C’est à travers ces songes que Maélys va redécouvrir sa sœur. En partageant sa clé avec Iléna, Maélys ouvre une porte vers le monde de son aînée, apprenant ainsi à communiquer un peu avec elle.
La dernière page de l’album apporte une coloration plus réaliste à l’histoire, expliquant au lecteur qu’Iléna est en fait atteinte d’autisme, une maladie l’empêchant de communiquer avec son entourage. L’album présente donc un double niveau de lecture. En lisant seul, l’enfant se laissera emporter par la magie de l’histoire, servie par la qualité du texte mis en relief par des jeux typographiques. Les illustrations de Selma Mandine sont féeriques mais sombres et parfois tumultueuses, rendant compte de l’état mental de la princesse et de son isolement. De plus, une lecture accompagnée par un adulte permettra à l’enfant d’approfondir sa compréhension du texte si l’envie s’en fait sentir. L’histoire est conçue de telle sorte que le thème de la maladie s’inscrit en filigrane et qu’on peut très bien la lire sans passer par elle.
La Clé des Songes est donc un album jeunesse tout en subtilité. Trop, peut-être. La manière dont le thème est abordé fait que l’album se démarque de la production classique pour la jeunesse, ce qui peut l‘empêcher de trouver facilement son public. La qualité de la maquette et les illustrations en font pourtant un album assez prisé par les collectionneurs adultes.
1000 vents, 1000 violoncelles de Hideko Ise, chez Nobi Nobi
1000 vents, 1000 violoncelles de Hideko Ise, chez Nobi Nobi
Alors qu’aujourd’hui de nombreux élans de solidarité se forment à travers le monde entier pour venir en aide aux sinistrés de catastrophes naturelles de plus en plus importantes, Hideko Ise, avec son trait artistique si particulier et si reconnaissable, nous apporte avec cet album jeunesse1000 vents, 1000 violoncelles une certaine nostalgie et de l’espoir.
Hideko Ise, violoncelliste, dessinatrice, essayiste et traductrice, offre par sa sensibilité des albums jeunesse dignes de romans d’initiation et d’apprentissage. Dessinant et écrivant elle-même ses œuvres, elle reçut de nombreux prix littéraires dans son pays.
Cet ouvrage, 1000 vents, 1000 violoncelles est un hommage aux sinistrés du grand tremblement de terre de Kobe en 1995. L’auteur ne l’ayant pas vécu directement mais étant sur les lieux de la catastrophe deux mois après, fut choquée par l’ampleur des dégâts et ne put en dessiner aucun croquis. Ce n’est qu’en 1998, en allant jouer au concert de soutien organisé par des associations qu’elle se libérera de toute cette horreur et qu’elle décidera d’en faire un album dans l’idée de transmettre aux gens que l’on peut surmonter un tel traumatisme.
Hideko Ise l’exprime avec une sensibilité véritable et une démarche à la fois poétique et nostalgique. On suit ainsi deux enfants qui apprennent à jouer du violoncelle : l’un n’arrivant pas à un son parfait et l’autre jouant admirablement bien mais avec un son triste et mélancolique. Alors qu’ils apprennent à se connaître, ils découvriront le lieu de répétition d’un concert de soutien en mémoire des vies perdues lors du tremblement de terre. Ils rencontreront alors un vieux monsieur avec lequel ils joueront, répéteront et chercheront leur but véritable : surmonter la perte d’une chose aimée. Ce n’est qu’en faisant cette recherche de soi et en suivant les répétitions qu’ils arriveront au moment crucial : le concert où 1000 violoncelles retentissent à l’unisson, libérant les musiciens du traumatisme…
Grâce à ses dessins et son texte, admirablement bien adapté au langage des enfants, Hideko Ise nous entraîne tout au long de l’album vers la libération d’un choc contenu. Ses aquarelles, ses dessins ressemblant à des traits non-finis offrent une touche de légèreté et de liberté qui s’inscrit parfaitement dans l’idée qu’elle veut faire passer. Seule une photo de la catastrophe au milieu de l’histoire souligne par sa dureté et son réalisme le choc de l’événement. Le texte, adapté et simple, permet aux enfants, comme aux adultes, de pouvoir découvrir ce cataclysme avec un regard différent et de mieux l’appréhender, tout en signalant que ceux qui ont survécu sont importants et qu’il faut donc avancer pour eux.
Charlène Hugonin
mardi 21 septembre 2010
La vie est brève et le désir sans fin, Patrick Lapeyre, P.O.L., 2010
Libre, seul et assoupi, Romain Monnery, éditions Au diable Vauvert
Bifteck de Martin Provost, éditions Phébus
Une vie qui n’était pas la sienne, Juan José Millás, aux éditions Galaade
Ouragan, Laurent Gaudé, Actes Sud, 2010
La Montagne de minuit, Jean-Marie Blas de Roblès, éditions Zulma, 2010
Jours d'enfance de Michiel Heyns, ed. Philippe Rey, traduit de l'Anglais (Afrique du Sud) par Françoise Adlstain (282 p.)
Fils d’une Afrikaner et d’un Anglais, Simon porte en lui les deux cultures de l’Afrique blanche.
Lors d’une rencontre sportive contre « les clefs à molette » d’un lycée technologique voisin, Simon va se retrouver face à son passé, incarné par son ancien camarade Fanie. Le récit entrecoupé de flashbacks nous fait découvrir la vie de la petite bourgade de Verkeerdespruit. À travers son récit initiatique, Simon porte un regard curieux et naïf sur ces habitants puritains et racistes.
Contrairement à ce que le lecteur attend, les Noirs étant parqués dans le township, ils ne sont pas le thème de l’histoire. Au contraire, les Afrikaners du village méprisent par-dessus tout les Anglais et leur culture ainsi que ceux qui ne souhaitent pas suivre le mode de vie du pasteur de l’Eglise. Tels Steve qui porte des vêtements de voyous et conduit une moto ainsi que l’extravagant Trevor et sa chemise rose en feront la douloureuse expérience et seront chassés de la ville.
Michiel Heyns nous livre le regard d’un enfant en plein apprentissage sur l’Afrique blanche et ses contradictions, le conservatisme des adultes et ses propres expériences de vie. Avec un style fluide et un récit alternant présent et passé, Michiel Heyns, au-delà de l’évolution de Simon nous parle de l’évolution de l’Afrique du Sud.
Romancier, enseignant et traducteur en Afrique du Sud, Michiel Heyns a pu commencer à vivre de sa plume grâce au succès de son premier roman The Children’s Day paru en 2002 (sur la liste finale des Bookseller’s award). Il a ensuite publié The Reluctant Passenger en 2003, The Typewriter’s Tale en 2005 et Bodies Politic en 2008. Il faudra attendre 2007 pour la traduction en français du Passager récalcitrant (chez JC Lattès) puis la rentrée littéraire 2010 pour son titre Jours d’enfance.
Le Cœur régulier d’Olivier Adam, aux Éditions de l’Olivier
« C’est toi qui étais là après. C’est à toi de me le dire. » Justement, Sarah n’en sait rien. Nathan, son frère, elle l’a écarté de sa vie. Une vie parfaite avec un mari parfait, des enfants parfaits, un pavillon parfait. Une vie dans laquelle Nathan et sa folie, son alcoolisme et son instabilité n’avaient plus leur place. Alors, quand il disparaît dans un accident de voiture, Sarah se sent coupable d’avoir abandonné ce frère adoré dans le passé, qui était comme son jumeau. Elle ne supporte plus sa vie trop étroite dans un monde réglé au millimètre près. Elle s’enfuit au Japon, dans un petit village où son frère avait retrouvé la paix. Sarah tente alors elle-même de trouver cette paix intérieure, espérant y rattraper quelque chose de Nathan.
Olivier Adam signe ici une histoire exaltante d’une femme déchirée entre deux mondes, l’un intact et bien réglé de son mari, l’autre hors des sentiers battus de son frère. Ainsi, après Passer l’hiver (Goncourt de la nouvelle en 2004), À l’abri de rien (prix France télévision en 2007 et prix Jean-Amila-Meckert en 2008) et d’autres romans adaptés au cinéma, Olivier Adam confirme une fois de plus son talent. Son style décrit aussi bien les paysages que les émotions. L’auteur retrace de manière si précise les mouvements de l’âme qu’il est impossible de ne rien ressentir en lisant ces mots perturbants. C’est alors que nous entrons nous aussi dans la recherche frénétique des battements du « cœur régulier ».
Audrey
Rosa candida de Audur Ava Ólafsdóttir, éd. Zulma, traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson (332p.)
Fahrenheit 2010 d'Isabelle Desesquelles
Fahrenheit 2010 d’Isabelle Desesquelles, 198 p., éditions Stock
À l’heure où le statut et la place du libraire sont de plus en plus remis en cause par l’arrivée du numérique et des surfaces spécialisées, Isabelle Desesquelles nous dépeint avec une certaine ironie les conditions de vie à venir du libraire.
Cette jeune femme, anciennement directrice de la librairie Privat de Toulouse, l’une des plus grandes librairies de France, reconvertie en une librairie Chapitre.com, présente avec Fahrenheit 2010 son cinquième roman.
Que faire quand un magnat international américain décide de s’implanter sur le sol français ? Qui plus est pour créer une chaîne de librairie à l’instar de la Fnac et de Cultura ? Pas grand-chose et c’est bien de cela que parle ce livre avec une certaine justesse.
La narratrice, libraire depuis quinze ans, voit son statut changer du jour au lendemain avec l’arrivée de « La Multinationale ». Cette dernière, avec son réseau « Lachaîne », implantera une politique marketing à grande échelle dans le but de fidéliser la clientèle au détriment de la qualité et de l’excellence du lieu. Alors que son travail était sa raison de vivre et sa passion, il deviendra très vite un enfer et un malaise constants.
Fahrenheit 2010 est avec le roman graphique Moi vivant vous n’aurez jamais de pause ou comment j’ai cru devenir libraire de Leslie Plée, un livre dénonciateur de la nouvelle société de consommation.
L’originalité de la narration du livre, le regard critique et ironique de l’auteur permettent de montrer l’étendue des bouleversements du milieu des librairies. L’utilisation de surnoms absurdes pour décrire les dirigeants de cette dictature insensée, exprime d’un ton léger mais nécessaire les désillusions de cette libraire face à tant d’incompréhension devant sa passion des livres.