mardi 19 octobre 2010

Le Murmure des dieux, Roxane Marie Galliez et Cathy Delannsay, 72 pages, Balivernes Editions.


Quand on visite un salon jeunesse, il y a les albums qui nous passent entre les mains et qu’on oublie aussitôt et, plus rarement, ceux avec lesquels on repart avec une seule hâte : rentrer chez soi pour pouvoir les savourer, dans le calme et la chaleur de son canapé. Le Murmure des dieux fait partie de ceux-là.

Ces dernières années, les librairies ont littéralement été inondées d’albums du même acabit : mythes et légendes sur les pirates, les dragons, les anges, les princesses, etc. Il semblait donc logique que les dieux et les héros soient les prochains sur la liste. Et pourtant, le savoir-faire des éditions Balivernes est une fois de plus au rendez-vous pour transformer ce qui aurait pu facilement devenir un énième album d’une affligeante banalité en véritable bijou de l’édition jeunesse.

Si le Murmure des dieux se distingue de la masse, c’est avant tout par son traitement. Entre le documentaire et la poésie, les auteurs ont su trouver le juste milieu pour ne pas tomber dans les deux excès du genre, c’est-à-dire l’abondance d’informations indigestes, ou au contraire la prose ampoulée et vide de sens.

La formule est simple : le livre fonctionne par doubles pages, chacune présentant la légende d’un dieu, d’une déesse ou d’un héros de façon poétique. Le tout est servi par des illustrations soignées et efficaces, qui font parfaitement écho au texte pour le mettre en valeur, sans nécessairement prendre le dessus sur lui. La couverture, jouant dans une gamme bleue et or, attire l’œil et pose, avant même que l’on ait ouvert le livre, une ambiance de rêveries et de songes, dans lequel baigne le lecteur du début à la fin.

Mais qu’en est-il du contenu ? Car si le Murmure des dieux est effectivement un bel objet –ce qui reste l’un des principaux intérêts des albums jeunesse, en général- il présente le double avantage d’être également un livre avec lequel on découvre et on apprend. Le panel de divinités présentées est très large, allant des légendes Irlandaises à la mythologie indienne, en passant par l’Egypte, le Japon, et beaucoup d’autres encore.

Certes, la façon dont les légendes sont présentées ne remplace pas un documentaire en termes de quantité et de précision de l’information, mais ce n’est pas l’intérêt premier du livre, et celui-ci présente au moins l’avantage d’éveiller la curiosité de l’enfant (et de l’adulte !) pour les mythes et cultures étrangères.

Le Murmure des dieux est un album comme on aimerait en voir plus souvent : un livre soigné et esthétique, mais surtout intelligent et bien pensé. Voilà un Murmure qui risque de faire du bruit !


Charlélie D.

Nicholas Dane, Melvin Burgess

Melvin Burgess, écrivain anglais, se consacre à la littérature pour adolescents. Son réalisme noir est révélé par le succès retentissant de Junk, puis confirmé par la parution de Nicholas Dane en septembre 2010 aux éditions Gallimard Jeunesse.
Nicholas Dane a quatorze ans en 1984 lorsque sa mère meurt brusquement d’une overdose d’héroïne à Manchester. Nick n’a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive quand Jenny, la seule amie de sa mère, souhaite devenir sa famille d’accueil, mais elle est célibataire avec deux enfants à charge. Mrs Batts, représentante des services sociaux, refuse sa requête et envoie Nick à Meadow Hill, un foyer pour garçons violents. Les conditions de vie sont terribles, quasiment identiques à celles des prisons. Outre les leçons abêtissantes, la malnutrition, l’absence de loisirs et de biens personnels, Nick se fait bizuter et découvre les bagarres incessantes entre les pensionnaires et les punitions injustes des maîtres, qui consistent à fouetter les fesses des enfants bagarreurs. Nick s’intègre très vite à ce milieu hostile et se lie d’amitié avec Oliver, un enfant abusé sexuellement qui n’a connu que les foyers, et Davey, issu d’une fratrie nombreuse que les parents, alcooliques et pauvres, ont abandonné à leur propre sort.
Dans ses tourments quotidiens, l’adjoint du directeur, Tony Creal, lui apporte du réconfort lors de soirées en petit comité dans son appartement personnel. Mais peu à peu, Nick se rend compte que cette affection est louche, jusqu’au soir où Tony Creal le caresse. Brisé de honte, Nick s’en prend violemment à Oliver qui connaît la véritable nature du directeur adjoint et subit ses pulsions sexuelles. Nick est envoyé dans une cellule de haute sécurité pendant quelques jours, durant lesquels il est violé par Tony Creal.
Tandis que Nick tente de survivre dans cet enfer, Tony Creal met en place une machination pour que son nouvel amant ne quitte pas le foyer. Il dénonce la violence dramatique de Nick auprès de Michael Moberley, un lointain oncle de Nick qu’il n’a jamais connu, justifiant ainsi sa présence dans ce foyer. Il en profite également pour soutirer de l’argent à cet homme, prétendant l’utiliser pour les besoins de Meadow Hill alors qu’il alimente ses fonds personnels. D’un autre côté, Tony Creal prétend être un éducateur dévoué aux yeux de Mrs Batt qui organise les attributions des enfants abandonnés par la société.
Après une première tentative d’évasion suivie de châtiments corporels, Nick, Davey et Oliver s’évadent pour de bon, mais Oliver est rattrapé et on n’entendra plus jamais parler de lui. Oliver découvre des photos compromettantes avec Tony Creal et des enfants nus mais Les seules preuves permettant d’accuser les horreurs de Tony Creal sont perdues. Cependant, celui-ci vivra dans la terreur absolue que son secret soit découvert.
Pour Nick et Davey commence une nouvelle vie. Ils volent pour le compte de Sunshine, un dealer et receleur, qui les héberge et les nourrit en échange. Jonesy, l’ami de Sunshine, vient leur rendre visite après avoir passé un an en prison et entraîne Nick dans de menus larcins et même dans le braquage d’une pharmacie. Jonesy bat sauvagement Stella lorsqu’il est en colère ; à chacune de ses apparitions, elle est de plus en plus tuméfiée, boiteuse et souffrante, mais ne le quitte pas parce qu’elle est très amoureuse.
Jonesy, qui a vécu les mêmes abus que Nick, à Meadow Hill, décide d’organiser le meurtre de Tony Creal avec d’autres victimes. Afin d’empêcher son ami de commettre un meurtre, Stella fait parvenir une lettre à Tony Creal pour le prévenir du danger. Tony Creal prévient la police qui remonte jusqu’à Jonesy. Celui-ci découvre la dénonciation de Stella et la tue à coup de gourdin. Jonesy se cache durant quelques jours tandis que la police est à sa recherche. Il se réfugie chez Sunshine mais la police intervient, et, terrorisé par la portée de ses actes, Jonesy se tue d’un coup de fusil sous les yeux de Nick.
Nick est renvoyé à Meadow Hill où il conclut un marché avec Tony Creal : celui-ci, terrorisé par l’idée d’être dénoncé, propose à Nick de le faire partir au plus vite. Il est transféré dans un foyer aux conditions saines. Après de nouveaux délits et quatre années de passées en prison, il reprend ses études et trouve un emploi stable. Il rencontre Maggie avec qui il a deux fils et, lorsque, des années plus tard, il croise dans la rue Tony Creal, avec un petit garçon à ses côtés, il met en marche une procédure de justice. Le pédophile est jugé coupable mais trop âgé pour faire de la prison.
Melvin Burgess, à travers l’histoire de Nicholas Dane, écrit un plaidoyer contre les services sociaux des années 1980 en Angleterre. Jamais il ne tombe dans la caricature et la banalité ; son récit est rythmé et l’action habilement mise en place. L’auteur critique les services sociaux qui ne contrôlent pas les conditions de vie des foyers ou qui ferment les yeux sur la violence et la pédophilie. Ces actes sont toujours dérangeants pour les autorités, les familles : l’incrédulité des adultes paralyse les victimes qui préfèrent se taire. Les passages concernant les conséquences psychologiques de la maltraitance et du viol sont bien écrits et très réalistes. L’auteur dénonce une société qui abandonne ses orphelins et en fait des adultes délinquants. Comment de telles horreurs ont pu exister dans notre société ?
Mais, plus dur encore, Melvin Burgess met en exergue l’injustice, la malchance, et l’indifférence générale dans lesquelles évoluent tous les personnages de ses romans. Une nouvelle fois, il frappe haut et fort avec cette nouvelle histoire, même s’il est osé de la publier dans une collection destinée aux jeunes. Pourtant, même si le sujet est épouvantable, nous n’avons pas le droit de le passer sous silence car ces abus existent toujours.

Petites Histoires pour les enfants qui s'endorment très vite, de Carl Norac et Thomas Baas, aux éditions Sarbacane

« C’est l’histoire d’un p’tit toutou. Quand c’est fini c’est tout.»

Le jeu, c’est de raconter l’histoire la plus courte possible, en vers de préférence. Une phrase ou deux pas plus. Le résultat est un petit bijou de poésie et de drôlerie, écrit par Carl Norac que l’on connaît déjà pour ses talents de conteur (Sentimiento, chez Bilboquet), et illustré par Thomas Baas affichiste qui s’essaie pour la première fois à l’illustration.

L’exercice se prête parfaitement au style de Carl Norac qui nous avait déjà régalé de son écriture légère et poétique dans Sentimento, sa version revisitée de Frankenstein, illustrée par Rebecca Dautremer.

Quant à l’illustration, minimaliste, un brin rétro, elle s’accorde parfaitement à la loufoquerie et à la brièveté du texte et rajoute même une dimension à l’histoire. Lorsque, par exemple, le texte raconte que « C’est l’histoire d’un caillou qui fait plouf. Un caillou à la mer ! À la fin, il est sauvé. Ouf ! », l’image montre effectivement un caillou qui s’apprête à tomber du haut d’une falaise, mais surtout l’homme auquel le caillou est relié par une corde et qui va bientôt sauter.

En fait, la brièveté de texte laisse à l’illustrateur la liberté d’interpréter les mots et, finalement, d’inventer l’histoire. C’est cette complémentarité du texte et de l’illustration qui fonde véritablement la qualité de l’album.

Chaque page, c’est-à-dire chaque illustration, est faite uniquement de deux ou trois couleurs, ce qui permet de façon astucieuse, de matérialiser l’idée qu’on change d’histoire à la page suivante, réalisée dans un autre ton de couleurs. On passe alors sans problème de l’humour burlesque à la poésie la plus tendre au fil des trente micros-histoires qui se suivent.

Petits et grands, vous ne vous lasserez pas de tourner les pages en papier épais de ce bel objet, car, vous l’aurez compris, ici connaître la fin de l’histoire ne gâche en rien le plaisir.

Lucile

La fille de son père , d’Anne Berest, ed. Le Seuil (160 p.)

« Pour la deuxième fois de ma vie, je me retrouve dans l’embarrassante situation d’assister à un enterrement auquel personne ne m’a conviée. »

Le roman s’ouvre sur ce curieux chapitre dont nous ne saisirons le sens qu’à la fin du récit, la narratrice y revit les principaux évènements qui ont conduit à la révélation d’un secret de famille. Sœur cadette, elle est celle qui paraît avoir le moins de prise sur son destin et se laisse porter entre la grande sœur autoritaire et l’attachante petite soeur. Le père, dépassé par ses trois grandes filles rousses a retrouvé une femme, mais l’image de la mère plane toujours sur la famille et dans la maison où son bureau est conservé comme un sanctuaire. Pour les trois sœurs, si proches dans leur jeunesse, le charme paraît s’être évanouit « Notre situation aujourd’hui est embarrassante, propre à celle des amants dont l’amour s’est éteint et qui s’en excusent l’un l’autre: pardon de ne plus t’aimer aveuglément; pardon de ne plus te trouver si indispensable que ma vie en dépende. »

Le père essaie malgré tout d’entretenir le lien en organisant avec sa compagne Catherine, souvent maladroite, des réunions de famille. Lors de l’anniversaire d’Irène, l’aînée, Catherine excédée par ces filles qui forment un bloc face à elle et sont telles des « hyènes », craque et révèle un secret qui va bouleverser tout le monde. Ils vont tous devoir se remettre en cause ainsi que les liens qui les unissent. Certaines vont agir et d’autres se tairont. C’est à ce moment-là que les soeurs sans s’en rendre compte vont se rapprocher, car au final ce qui les lie est plus fort que tout le reste.

Le style d’Anne Berest est à la fois simple et travaillé, elle ne fait pas partie de ces jeunes auteurs qui essaient à tout prix de se démarquer dès leur premier livre. Si on a parfois du mal à s’identifier à la narratrice, qui est quasiment spectatrice de sa propre vie, on comprend tout à fait le choix de l’auteur. Pour finir, le lecteur se laissera tout autant berner que la narratrice et ne pourra prévoir le dénouement final.

Anne Berest est née en 1979. Elle vit et travaille à Paris. Lorsqu'elle n'écrit pas de romans, elle prête sa plume aux familles, écoute leurs récits et écrit leurs mémoires. La fille de son père est son premier roman.

Franck, Anne Savelli, Editions Stock

« On est passé de l’autre côté, ça y est. C’est fait c’est noté qu’on le sache. », invective la narratrice du nouveau roman d’Anne Savelli, Franck. « L’autre côté », c’est la prison et son parloir, une demi-heure par semaine.

Franck est un jeune adulte né en 1968, incarcéré en 1986 pour vol avec violence. La narratrice de ce récit est la jeune femme qui a aimé Franck, qui a passé des journées dans les transports, pour trente minutes de parloir, de Fleury-Mérogis à Béthune. Ils sont tous deux entrés dans l’enfer de leur vie à vingt ans à peine.

Incarcéré pour deux ans, Franck passa son enfance en famille d’accueil dans le Nord. Puis vient la vie dans les gares de métro, Jourdain, Oberkampf, Les Halles. Dormir dans les squats, aller dans les bars quand la manche a été bonne c’est la réalité d’une vie dans la marge, à côté d’une société qui les rejette et les ignore. Après c’est Fleury-Mérogis, le quotidien de la cellule et du parloir, les maisons d’arrêt, le juge, le tribunal.

Anne Savelli est née à Paris. Elle poursuivit des études de lettres et d’audiovisuel. Elle a publié son premier livre, Fenêtres/Open space aux éditions Le Mot et le reste en 2007. En septembre 2008 est paru un second livre, Cowboy Junkies, The trinity session /'til I'm dead, dans la collection Solo chez le même éditeur. Elle nous offre avec Franck, son troisième roman (Editions Stock, septembre 2010). Franck est un livre qui décrit le chemin emprunté par un homme indésirable, qui n’a ni su ni voulu trouver sa place. Il traîne un sac qui contient toute son existence : lettres, photos, papiers, minicassette et quelques livres, dont Le Vieil Homme et la mer d’Hemingway. Un sac contient une vie d’homme, lorsqu’on sort de prison.

Cet ouvrage établit le portrait d’une société tout entière en posant la question de l’homme en marge, rejeté et celle de la prison : comment vivre suite à un séjour entre ses murs ?

Anne Savelli nous peint cet aspect mal connu de nos sociétés dans une langue urbaine, sauvage et tendue. L’écriture nous frappe par la violence de son rythme, phrases emboîtées, paragraphes enchâssés.

Sa langue nous remue, nous retourne, et nous permet de ressentir avec force la solitude d’un homme en prison, mais plus encore celle d’une jeune femme qui aime cet homme.

Cet ouvrage laisse ouverte l’hypothèse qu’Anne Savelli soit elle-même la narratrice de l’histoire, ce qui donne encore plus de force au récit.

Pauline

Premiers printemps, Anne Crausaz, Editions MeMo, 2010.

« Regarde petite fille, comme tout devient vert, c’est le printemps ! » Le livre vient à peine d’être ouvert et sur la première page, figure cette petite phrase. Invité à se joindre à cette fameuse petite fille, le lecteur est directement plongé dans l’histoire. Que nous réserve le nouvel album jeunesse d’Anne Crausaz ? Diplômée en design graphique en 1997, elle reçut en 2009 le prix « Sorcière », récompense incontournable dans le domaine de la jeunesse, pour Raymond rêve, paru en 2007. Rendue célèbre grâce à ce petit escargot, désormais personnage phare, Anne Crausaz a su conquérir le cœur de nombreuses personnes, petites comme grandes, qui attendaient avec impatience la sortie de ce nouvel ouvrage jeunesse.

Destiné aux enfants dès leur plus jeune âge, cet album d’éveil est une invitation à découvrir, et redécouvrir le temps qui passe, notamment à travers la nature. Ce thème tient à cœur à Anne Crausaz, qui n’hésite pas à l’exploiter dans chacun de ses ouvrages. La nature a toujours beaucoup à nous apprendre. Dans ce livre, une petite fille découvre, au fil des saisons, ses cinq sens. Le texte étant discret, c’est avant tout une histoire graphique et poétique que nous offre Anne Crausaz dans cet ouvrage.

Comme à leur habitude, les illustrations d’Anne Crausaz sont pures et simples. On se laisse volontiers emporter dans son univers. A chaque page tournée, de nouvelles couleurs, de nouveaux objets, et surtout, un nouveau point de vue font leur apparition. La petite fille surgit sous nos yeux parfois. Majoritairement, c’est à travers ses yeux que nous observons la nature qui se transforme au fil du temps. Anne Crausaz nous interpelle : « regarde ! », « entends-tu ? », « écoute », le lecteur est, sans cesse, invité à explorer et observer lui aussi la nature qui l’entoure. Et puis, vint la fin de l’ouvrage. Le printemps fait son grand retour, une année est passée, et la petite fille devient alors grande. Ce n’est pas seulement un apprentissage sensoriel qu’Anne Crausaz apporte aux enfants à travers ce livre. Elle leur explique aussi le cycle des saisons, et les années qui passent. Et qui dit nouvelle année, dit enfant qui grandit !

Tout comme les saisons reviennent inlassablement chaque année, cet album jeunesse est à lire et à relire dès que revient le printemps !

Loup ne sait pas compter, écrit par Nadine Brun-Cosme et illustré par Nathalie Choux, éditions Père Castor (Flammarion)

Loup se rend compte lors d’une partie de cache-cache qu’il ne sait pas compter plus loin que trois. « Un, deux, trois… Mais après trois, qu’est-ce qu’il y a ? » répète-il sans cesse aux différents animaux qui croisent sa route : un lapin, un cochon et une vache. Ceux-ci, bien plus habitués à être poursuivis par le loup qu’à lui parler, se moquent de son ignorance et rient tellement qu’ils en roulent au sol. Loup, excédé, bondit sur la vache et menace de la manger s’ils ne lui apprennent pas à compter. À l’aide d’une petite comptine « Un, deux, trois, nous irons au bois… », les animaux lui enseignent les chiffres et finissent par prendre plaisir à sa compagnie. À la fin de l’album, la partie de cache-cache reprend et Loup peut montrer à tous que, désormais, il sait compter.

Cet album pour tous petits (à partir de 2-3 ans) permet d’apprendre à compter, de façon ludique et amusante, aux enfants. Mais plus qu’un livre d’enseignement, il s’agit ici d’une fable dont la morale est de ne pas se moquer de l’ignorance de ses camarades.

Si le texte est assez court, il est accompagné de belles illustrations simples et recherchées à la fois. Les matières sont travaillées en épaisseur, avec un jeu de motifs simples et répétés qui habille les fonds unis. Les couleurs sont constituées de différents tons qui leur confèrent du volume.

Nadine Brun-Cosme est l’auteur d’une dizaine d’autres titres jeunesse. Dans chacun de ses livres, elle tente de rapporter un sentiment et une atmosphère propre à l’enfance, ici, la honte et la moquerie.

Avec une formation en Arts Appliqués et Art Décoratifs de Paris, Nathalie Choux est illustratrice pour la jeunesse comme pour la presse et la publicité. Reconnue pour son talent, elle a notamment été publiée chez Sarbacane, Albin Michel Jeunesse, Nathan et Thierry Magnier.

Un bel album pour les jeunes enfants. Sa lecture peut aussi bien plaire aux parents qui découvriront la qualité de l’illustration, qu’aux enfants qui se reconnaîtront dans les différents personnages.

Princesses oubliées ou inconnues, Édition Gautier Languereau


Philippe LECHERMEIER, Rébecca DAUTREMER, Princesses oubliées ou inconnues, Édition Gautier Languereau.

« Un jour, j’ai ramassé dans mon jardin le voile rouge d’une princesse lointaine. »
Ne vous attendez pas à trouver dans cet album les princesses traditionnelles qui peuplent nos contes de fées. Voici les princesses trop vite oubliées que l’on aime regarder sous un regard amusé. Quarante portraits dépaysants vous racontent les vies de ces princesses injustement ignorées.
Princesse Poupoupidou, Fasola, princesse de la Nuit ou encore princesse des Sables sont des princesses toutes aussi différentes les une que les autres. Il y en a de belles et de laides, de bonnes et de méchantes, des riches et des pauvres, des solitaires et accompagnées.
Leur singularité est présentée par des poèmes, de courtes histoires, des secrets et des anecdotes. À chaque princesse est dédiée une citation comme « Chanter c’est colorier les mots » pour la princesse Fasola, « L’eau est une robe qui refuse qu’on la porte », pour la princesse Anguille de l’Isle ou encore « Les secrets sont enfermés, mais ils ne pensent qu’à s’échapper » pour la princesse Confidente.
Cet album, aux illustrations féeriques et amusantes, propose un guide pratique, un test, un lexique, une bibliographie ainsi qu’un index alphabétique et thématique.
L’auteur joue avec la typographie afin de toucher de plus près les personnalités de ces princesses imaginaires.
Auteur de livres et d’albums jeunesses, Philipe Lerchermeir crée cet album en 2004 avec l’aide de Rébecca Dautremer, l’illustratrice. Les thèmes abordés dans ses albums le sont de façon originale et avec un humour souvent grinçant.
Se situant entre l’album, le documentaire et le jeu, ce livre de Princesses ne convient pas, selon moi, à un public jeune. En effet, la typographie et les expressions complexes présentent dans l’album peuvent rendre ces belles histoires inaccessibles.
Malgré cela, ce merveilleux album nous fait rêver en nous transportant dans ce monde de Princesses oubliées et inconnues…
On y découvre de nouveaux noms, de nouveaux visages ainsi qu’un nouveau monde peuplé de princesses imaginaires ignorées de tous.
Un album à savourer pour sa beauté et son humour.
Chloé R.

Si je reste, de Gayle Forman chez Oh ! Éditions

Ce court roman jeunesse de deux cents pages conte l’histoire de Mia, une jeune fille de dix-sept ans. Mia a une vie comblée, une famille aimante, un petit ami guitariste dans un groupe de musique montant, une amie qui la soutient et une passion pour le violoncelle. Mais tout cela est brisé par une journée enneigée où les écoles sont fermées. En famille, ils décident de rendre visite aux grands-parents. Sur le chemin, la voiture est percutée par une camionnette. Mia découvre les corps de ses parents, morts sur le coup. Elle voit son petit frère être mis dans une ambulance, puis elle est elle-même transportée aux urgences.

Soudain, c’est le choc : elle s’aperçoit qu’elle est hors de son corps. Elle peut aller et venir, ainsi qu’entendre les conversations autour d’elle, mais sans pouvoir interagir avec ce qui l’entoure. À l’hôpital, Mia comprend qu’elle est dans le coma. En attendant son réveil, elle est une sorte de fantôme qui erre autour de son corps et de ses proches venus se recueillir sur son lit d’hôpital.

Et Mia, comme pour rester encore un peu accroché à ce monde, se rappelle : sa rencontre avec sa meilleure amie Kim, sa relation avec son petit ami Adam, la naissance de sa passion pour le violoncelle, ses liens avec sa famille.

Ainsi, entre souvenirs et présent, plongée dans le coma mais consciente de tout, Mia doit faire un choix. Celui de vivre ou de mourir. Elle va devoir peser le pour et le contre, voir des signes dans le passé et le présent. Un choix terrible quand on a dix-sept ans. Sur ce long chemin, ses grands-parents, sa meilleure amie et Adam sont là pour l’aider, à leur façon, à prendre la meilleure décision.

Gayle Forman signe avec Si je reste son troisième roman qui est le plus populaire. Cette quadragénaire américaine est à l’origine journaliste de profession. Elle écrit pour le magazine d’adolescents Seventeen avant de se lancer dans la littérature. Ses deux premiers romans n’ont pas encore été traduits en français. Le premier, You Can’t Get There From Here, est un livre sur le voyage, le second, Sisters in Sanity, est adressé aux jeunes adultes et aborde le sujet des centres de redressement pour les adolescents.

Avec Si je reste, Gayle Forman se plonge dans le thème de la disparition des proches. Il est le moteur du récit et y est abordé sans tabou. Pour Mia, il s’agit de passer outre la perte de cette famille aimée pour continuer à vivre.

Un roman émouvant, qui plaira aux adultes comme aux plus jeunes, et qui donne matière à réflexion sur ce thème qui préoccupe la société moderne.

« Je me rends compte maintenant que c'est facile de mourir. C'est vivre qui est difficile. »


Audrey

Jérôme FERRARI, Où j’ai laissé mon âme, 2010, Actes Sud, (140 pages).

« Je me souviens de vous, mon capitaine, je m’en souviens très bien, et je revois encore distinctement la nuit de désarroi et d’abandon tomber sur vos yeux quand je vous ai appris qu’il s’était pendu. » C’est ainsi que le lieutenant Andreani s’adresse au capitaine Degorce quelques années après la guerre d’Algérie.

Le capitaine Degorce est un rescapé des camps de concentration, un homme marqué par les différents combats qu’il a menés. Il a une femme et des enfants en France mais il ne sait plus quoi leur dire, son monde étant à l’opposé du leur. Il tente de prier mais n’y arrive plus.

Le lieutenant Andreani lui voue une admiration sans bornes, à la limite de l’amour, malgré leur vision différente de la guerre ; Andreani ne se pose pas de questions sur le bien et le mal, il exécute les ordres de manière détachée et sans sentimentalisme.

Les deux hommes se sont connus durant la guerre d’Indochine. Ils ont été tout deux prisonniers à Dien Bien Phu et c’est ce qui les a rapprochés ; « nous avons été engendrés par la même bataille, sous les pluies de la mousson.»

Mais en Algérie les choses ont changées, ils ne se comprennent plus. Andreani obéit aux ordres alors que Degorce ne les comprend pas tous et admire un commandant de l’ALN (Armée de Libération Nationale), Tahar.

Ce quatrième roman de Jérôme Ferrari, professeur de philosophie, traite d’un sujet encore sensible dans notre société : la torture des prisonniers algériens. Les tortionnaires sont évoqués comme des hommes quelconques luttant entre leur conscience et leur devoir.

Ce récit repose la question de la banalité du mal et de la relation entre victime et bourreau ; le capitaine Degorce victime des nazis, devient à son tour tortionnaire en Algérie. Comme le lieutenant Andreani le fait remarquer, « Aucune victime n'a jamais eu le moindre mal à se transformer en bourreau, au plus petit changement de circonstances. »

La narration est double, d’un côté il y a Andreani qui s’adresse de manière directe à Degorce lui livrant le fond de ses pensées sur les événements de la guerre et leurs conséquences. De l’autre nous suivons trois journées du capitaine, décrites à la troisième personne. À travers ces trois jours le lecteur peut appréhender les démons qui hantent Degorce jusqu’à la question finale ; qu’est il advenu de son âme ?

« Il a laissé son âme en chemin, quelque part derrière lui, et il ne sait pas où. »

La Clé des Songes de Régine Joséphine, illustré par Selma Mandine

La Clé des Songes, Régine Joséphine. 27p. Éditions Gecko.

Fidèles à leur politique éditoriale, les Éditions Gecko nous offrent un album travaillé qui aborde avec douceur le thème de l’autisme. L’ambition de la ligne éditoriale de Gecko tient en ces quelques mots : « La différence est une richesse ». À travers sa collection « Les mots-sésames », des thèmes difficiles comme l’Alzheimer, le syndrome de Rett ou l’autisme sont abordés, mais toujours de façon poétique et sans didactisme.

La Clé des Songes présente les mêmes ingrédients qu’un conte classique : un royaume, un roi, une reine, deux princesses et de la magie. Iléna, l’aînée des deux princesses, est une jeune fille étrange qui ne parle pas. Elle rit sans que l’on sache pourquoi, crie de toutes ses forces lorsqu’on l’approche. Maélys, la cadette, n’est pas proche de sa sœur. Contrairement aux autres, elle ne la craint pas, mais ne l’apprécie pas non plus, jalouse de l’attention que lui portent ses parents. Le roi et la reine sont bien embarrassés : le royaume se trouve oppressé par l’étrange comportement d’Iléna. Les enfants craignent de s’endormir, effrayés par ses cris. S’ils s’endorment, c’est sûr, elle les attirera dans son monde. Alors la Reine décide de remédier à la situation en créant des clés magiques, gardiennes des songes des enfants du royaume. C’est à travers ces songes que Maélys va redécouvrir sa sœur. En partageant sa clé avec Iléna, Maélys ouvre une porte vers le monde de son aînée, apprenant ainsi à communiquer un peu avec elle.

La dernière page de l’album apporte une coloration plus réaliste à l’histoire, expliquant au lecteur qu’Iléna est en fait atteinte d’autisme, une maladie l’empêchant de communiquer avec son entourage. L’album présente donc un double niveau de lecture. En lisant seul, l’enfant se laissera emporter par la magie de l’histoire, servie par la qualité du texte mis en relief par des jeux typographiques. Les illustrations de Selma Mandine sont féeriques mais sombres et parfois tumultueuses, rendant compte de l’état mental de la princesse et de son isolement. De plus, une lecture accompagnée par un adulte permettra à l’enfant d’approfondir sa compréhension du texte si l’envie s’en fait sentir. L’histoire est conçue de telle sorte que le thème de la maladie s’inscrit en filigrane et qu’on peut très bien la lire sans passer par elle.

La Clé des Songes est donc un album jeunesse tout en subtilité. Trop, peut-être. La manière dont le thème est abordé fait que l’album se démarque de la production classique pour la jeunesse, ce qui peut l‘empêcher de trouver facilement son public. La qualité de la maquette et les illustrations en font pourtant un album assez prisé par les collectionneurs adultes.

1000 vents, 1000 violoncelles de Hideko Ise, chez Nobi Nobi

1000 vents, 1000 violoncelles de Hideko Ise, chez Nobi Nobi

Alors qu’aujourd’hui de nombreux élans de solidarité se forment à travers le monde entier pour venir en aide aux sinistrés de catastrophes naturelles de plus en plus importantes, Hideko Ise, avec son trait artistique si particulier et si reconnaissable, nous apporte avec cet album jeunesse1000 vents, 1000 violoncelles une certaine nostalgie et de l’espoir.

Hideko Ise, violoncelliste, dessinatrice, essayiste et traductrice, offre par sa sensibilité des albums jeunesse dignes de romans d’initiation et d’apprentissage. Dessinant et écrivant elle-même ses œuvres, elle reçut de nombreux prix littéraires dans son pays.

Cet ouvrage, 1000 vents, 1000 violoncelles est un hommage aux sinistrés du grand tremblement de terre de Kobe en 1995. L’auteur ne l’ayant pas vécu directement mais étant sur les lieux de la catastrophe deux mois après, fut choquée par l’ampleur des dégâts et ne put en dessiner aucun croquis. Ce n’est qu’en 1998, en allant jouer au concert de soutien organisé par des associations qu’elle se libérera de toute cette horreur et qu’elle décidera d’en faire un album dans l’idée de transmettre aux gens que l’on peut surmonter un tel traumatisme.

Hideko Ise l’exprime avec une sensibilité véritable et une démarche à la fois poétique et nostalgique. On suit ainsi deux enfants qui apprennent à jouer du violoncelle : l’un n’arrivant pas à un son parfait et l’autre jouant admirablement bien mais avec un son triste et mélancolique. Alors qu’ils apprennent à se connaître, ils découvriront le lieu de répétition d’un concert de soutien en mémoire des vies perdues lors du tremblement de terre. Ils rencontreront alors un vieux monsieur avec lequel ils joueront, répéteront et chercheront leur but véritable : surmonter la perte d’une chose aimée. Ce n’est qu’en faisant cette recherche de soi et en suivant les répétitions qu’ils arriveront au moment crucial : le concert où 1000 violoncelles retentissent à l’unisson, libérant les musiciens du traumatisme…

Grâce à ses dessins et son texte, admirablement bien adapté au langage des enfants, Hideko Ise nous entraîne tout au long de l’album vers la libération d’un choc contenu. Ses aquarelles, ses dessins ressemblant à des traits non-finis offrent une touche de légèreté et de liberté qui s’inscrit parfaitement dans l’idée qu’elle veut faire passer. Seule une photo de la catastrophe au milieu de l’histoire souligne par sa dureté et son réalisme le choc de l’événement. Le texte, adapté et simple, permet aux enfants, comme aux adultes, de pouvoir découvrir ce cataclysme avec un regard différent et de mieux l’appréhender, tout en signalant que ceux qui ont survécu sont importants et qu’il faut donc avancer pour eux.

Charlène Hugonin

mardi 21 septembre 2010

La vie est brève et le désir sans fin, Patrick Lapeyre, P.O.L., 2010



« Nora arrive avec deux ans de retard, à cinq heures précises. » Nora Neville est une jeune femme qui navigue entre deux hommes, Murphy, anglais travaillant comme trader à Londres et Louis, français, marié, traducteur mais surtout profiteur professionnel, vivant aux crochets de sa femme et de son meilleur ami, amoureux de lui, dont il profite. Après deux ans d’absence, Nora recontacte Louis, dit « Blériot », comme le célèbre aviateur, un vague ancêtre. Il va devoir jongler entre un amour destructeur et son couple agonisant pendant que Murphy, que Nora a quitté sans explications, erre à travers Londres, essayant de la retrouver ou de l’oublier. Mais à chaque fois qu’un homme commence à l’oublier, Nora réapparaît. La jeune femme, indécise, égoïste et bouleversante brise les cœurs, couples et esprits avant de succomber à son tour à la folie.

Patrick Lapeyre est l’auteur de six autres romans publiés aux éditions P.O.L. et a été récompensé en 2004 pour son œuvre L’Homme-sœur par le prix Inter. Il revisite dans son dernier roman le schéma du triangle amoureux avec les complications, crises et jalousies qui l’accompagnent invariablement. Sauf qu’ici, en périphérie de ce triangle, se trouve la femme de Blériot, avec qui il ne s’entend plus mais qu’il n’arrive pas à quitter. Dans certains moments de faiblesse, il en retombe presque amoureux.

L’histoire est assez répétitive principalement à cause des allées et venues de Nora à travers la Manche, qui finissent par donner le mal de mer au lecteur. Le style fluide de l’auteur permet néanmoins de se plonger rapidement dans l’univers du récit. L’épilogue n’est pas surprenant : comme toute histoire d’amour impossible, la fin est assez sombre. Le lecteur, qui se fait balader entre les deux pays tout au long du roman, espérait peut-être un atterrissage plus grandiose.

Nancy HUSTON, Infrarouge, Édition Actes Sud.

L’histoire d’une photographe aspirant à percer les êtres, les hommes particulièrement.
Une semaine de vacances en Toscane : c’est le cadeau de Rena Greenblatt, artiste et reporter-photographe de 45 ans, à son père Simon ainsi qu’à sa belle-mère, Ingrid. Les relations complexes entretenues avec eux plonge Rena dans la solitude. Ce n’est qu’avec Subra, sa confidente imaginaire, que Rena partage ses pensées les plus intimes, ses secrets inavouables, ses fantasmes et ses douleurs. Seule Subra sait à quels infrarouges réagis Rena.
« Raconte, dit Subra » et Rena raconte.
Née au Canada dans les années 1950, Nancy Huston, écrivaine, essayiste et musicienne s’installe en France en 1973. Auteur d’une vingtaine de romans, elle se démarque par son engagement féministe.
Rena, une femme portée par l’amour et le désir de liberté. Infrarouge n’est pas une autobiographie déguisée mais un magnifique roman intime et universel. Il explore les liens et les conflits familiaux, les rapports homme-femme en passant par les vérités inavouées.
Ce roman est un voyage qui nous révèle que l’essentiel reste dans le noir.
Chloé R.

Libre, seul et assoupi, Romain Monnery, éditions Au diable Vauvert

Fraîchement diplômé en économie, Machin, inactif et dépendant, entend bien poursuivre son activité préférée : paresser. Que ce soit chez ses parents ou sur les bancs de la Faculté, il vivote. Seulement voilà, un jour le pire arrive : ses parents le mettent à la porte. Une connaissance lui propose aussitôt une collocation à Paris, où son inactivité l’enracine dans l’appartement à mesure que la bonne entente générale se désagrège. Machin se rend pourtant régulièrement au Pôle emploi, où sa recherche de travail très passive rafraîchit agréablement son agent qui lui octroie les aides sociales sur sa seule bonne foi, une habitude pour le moins surprenante.
Titulaire de diplômes en langue et en communication, Romain Monnery enchaîne les petits boulots et publie quelques nouvelles dans la revue Dérapages. C’est à 30 ans qu’il nous livre son premier roman, Libre, seul et assoupi.
Ce roman veut être un portrait décapant de la jeunesse diplômée des années 2000. « Assoupi », cela ne fait aucun doute : le récit n’est pas vraiment passionnant. En donnant trop dans la caricature Monnery confère à son roman un caractère peu crédible, dérangeant par moments et quelques situations sont peu plausibles. Machin est plat, n’a pas de centres d’intérêts et est lui-même inintéressant. C’est là que cela pèche. Difficile de s’identifier à un homme qui ne présente que des tares et aucune motivation, difficile également de s'en émouvoir. L’écriture est néanmoins fluide malgré quelques écarts de langage.

Bifteck de Martin Provost, éditions Phébus

Un peu de viande fraîche, parfois, ça fait du bien !
Avec Bifteck, Martin Provost nous sert un troisième roman aux petits oignons.

Le récit nous emmène dans le Quimper de 1914, au cœur d’une Bretagne tellement pittoresque et caricaturale qu’on la croirait presque authentique. Un cadre parfait pour suivre les déboires d’André, jeune boucher avec une prédisposition pour manipuler la chair, celle de ses produits comme celle de ses clientes…
Malheureusement pour lui, la guerre se termine et les ennuis commencent : les hommes rentrent du front et notre bon André se retrouve avec sept marmots sur les bras et un mari jaloux à ses trousses. En désespoir de cause, il s’embarque pour les Amériques avec ses enfants, entamant une épopée digne d’un héros grec.

Bifteck est un roman improbable, où l’absurde côtoie l’improbable et où l’irréalisme devient la règle. La narration est fluide et le style simple et agréable, mais ce sont véritablement les images évoquées qui font tout le caractère du texte. Chaque scène dégage une ambiance unique et un parfum  marqué  -  ce qui, au final, n’est pas très étonnant quand on sait que l’auteur est issu du monde du cinéma.
Mais au-delà du roman d’images, Bifteck s’adresse aux sens, faisant appel aussi bien à la vue qu’à l’odorat, au goût, au toucher et même au son. Du début à la fin, André et ses enfants transportent avec eux, sur les mers comme sur terre, cette saveur particulière, qui rappelle la petite boucherie quimpéroise décrite dans le premier chapitre.
Seul bémol dans cette partition quasi parfaite : un final un peu décevant  sans rapport palpable avec ce qui précède. Un os d’autant plus difficile à avaler que le reste du texte se dévore avec une facilité déconcertante.
Bifteck reste malgré tout une histoire drôle et originale, servie par une narration terriblement efficace. Un roman alléchant mais qui laisse un peu sur sa faim.


Charlélie D.

Une vie qui n’était pas la sienne, Juan José Millás, aux éditions Galaade

« La vie des êtres humains repose sur un mythe, une légende, en définitive un mensonge. »
La vie de Julio et Laura s’effondre lorsque Manuel, leur voisin et ami, tombe dans le coma après un accident. Le jeune couple, déjà fragilisé par leur impossibilité d’avoir un enfant, se sépare et Julio se voit contraint de quitter le domicile conjugal. Poussé par une fascination trouble pour son voisin, il s’installe dans l’appartement de Manuel, contigu au leur, s’appropriant peu à peu son logement, ses vêtements, ses habitudes. Il découvre alors un lourd secret qui bouleverse sa vie.
D’abord paru en Espagne en 2006, Une vie qui n’est pas la sienne est désormais traduit en français par André Gabastou aux éditions Galaade. Après Le Désordre de ton nom et Deux femmes à Prague, Juan José Millás fait encore surgir l’étrange dans le quotidien, grâce à un style fluide et concis. Tout au long de ces deux cents pages, le lecteur, curieux de connaître la vérité, se demande qui aime qui, et qui est qui dans cette histoire d’amour inédite.

Ouragan, Laurent Gaudé, Actes Sud, 2010

Avis de tempête ! L’auteur de cet Ouragan ? Laurent Gaudé, romancier et dramaturge, plus connu pour son œuvre traduite dans le monde entier - Le soleil des Scorta – pour lequel il reçut le prix Goncourt en 2004.
Ouragan retrace l’histoire d’une dizaine de personnages, tous victimes de l’ouragan Katrina qui a sévi aux Etats-Unis, et plus précisément à la Nouvelle-Orléans, en 2005.
Ils sont noirs, blancs, jeunes, amoureux ou âgés, rien n’est censé les réunir au départ… Et pourtant, leurs chemins vont se croiser à la suite de cet évènement tragique. Chaque personnage prend tour à tour la parole et témoigner de son histoire.
Il y a tout d’abord ce personnage saisissant : « Moi, Joséphine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans », vieille femme seule et fière. Elle se place comme porte-parole de tout un peuple : les bayous noirs-américains tristement délaissés lors du drame.
Il y a aussi cet homme, Keanu, grand et fort mais surtout perdu, qui part défier la tempête afin de retrouver son amour passé, Rose.
Mais d’autres comme Buckeley ne peut que subir l’ouragan car son sort de prisonnier ne l’autorise à rien, même pas à fuir.
Laurent Gaudé peint ici des destinées toutes aussi diverses qu’émouvantes dans un décor apocalyptique. Il mêle intensité et tragédie afin de sentir l’odeur du désespoir qui réunit.
Camille X.

La Montagne de minuit, Jean-Marie Blas de Roblès, éditions Zulma, 2010

L'histoire : Bastien est un vieux monsieur, ennuyeux de l’avis de tous, gardien d’un collège jésuite à Lyon mais secrètement passionné par la culture tibétaine et le lamaïsme. De fait, il vit aussi solitaire qu’un moine bouddhiste, tenu à l’écart pour d’obscures raisons. L’aventure commence par la rencontre entre le vieux sage et Rose, sa nouvelle voisine emménagée avec son petit Paul.
Séduite par l’étrangeté du personnage, cette dernière s’attache à lui au point de lui permettre d’accomplir le voyage de sa vie.
Les amateurs de littérature de voyage seront satisfaits : comme à son habitude, Jean-Marie Blas de Roblès nous emmène sur des terres exotiques. Dans son dernier roman, Là où les tigres sont chez eux (Prix Médicis), on allait au Brésil, avec La Montagne de Minuit, on se retrouve au Tibet, que l’auteur connaît bien pour avoir enseigné en Chine plusieurs années – comme un de ses personnages -.Certains voyages sont presque une visite presque touristique du Tibet, on y sent d’ailleurs trop clairement l’auteur y raconte son propre voyage.
Il n’empêche que ce roman reste bien un roman français, avec toutes lescaractéristiques du genre : introspection et résurgence de secrets de famille datant, comme c’est original, de la Seconde Guerre mondiale. On se lasse de ces thèmes usés à force d’êtres utilisés. Et bien que Roblès mélange ces thèmes à celui de la culture tibétaine, il n’en ressort rien d’original.
En dehors de l’histoire des personnages, le livre se présente un peu comme une enquête historique sur les liens entre le nazisme et le Tibet. S’appuyant sur des recherches réelles, il s’intéresse à ces rumeurs selon lesquelles les moines bouddhistes auraient intégré le régime nazi durant la guerre.
La tentative est maladroite, l’auteur dépasse de son personnage, Viviane, l’historienne, derrière lequel il s’était caché pour rendre compte d’un sujet qui l’intéresse lui, personnellement.
En somme on se demande si La Montagne de minuit ne sert pas de prétexte à l’auteur pour partager son questionnement historique et raconter son voyage au Tibet. Car il faut bien avouer que l’écriture n’a rien de particulièrement savoureux.
Mais ne soyons pas injustes, ce court roman se laisse lire gentiment, l’écriture est fluide et ponctuée des éléments de suspense indispensables pour nous donner envie de savoir la fin.
Pas de la grande littérature mais un divertissement sympathique.
Lucile

Jours d'enfance de Michiel Heyns, ed. Philippe Rey, traduit de l'Anglais (Afrique du Sud) par Françoise Adlstain (282 p.)

Fils d’une Afrikaner et d’un Anglais, Simon porte en lui les deux cultures de l’Afrique blanche.

Lors d’une rencontre sportive contre « les clefs à molette » d’un lycée technologique voisin, Simon va se retrouver face à son passé, incarné par son ancien camarade Fanie. Le récit entrecoupé de flashbacks nous fait découvrir la vie de la petite bourgade de Verkeerdespruit. À travers son récit initiatique, Simon porte un regard curieux et naïf sur ces habitants puritains et racistes.

Contrairement à ce que le lecteur attend, les Noirs étant parqués dans le township, ils ne sont pas le thème de l’histoire. Au contraire, les Afrikaners du village méprisent par-dessus tout les Anglais et leur culture ainsi que ceux qui ne souhaitent pas suivre le mode de vie du pasteur de l’Eglise. Tels Steve qui porte des vêtements de voyous et conduit une moto ainsi que l’extravagant Trevor et sa chemise rose en feront la douloureuse expérience et seront chassés de la ville.

Michiel Heyns nous livre le regard d’un enfant en plein apprentissage sur l’Afrique blanche et ses contradictions, le conservatisme des adultes et ses propres expériences de vie. Avec un style fluide et un récit alternant présent et passé, Michiel Heyns, au-delà de l’évolution de Simon nous parle de l’évolution de l’Afrique du Sud.

Romancier, enseignant et traducteur en Afrique du Sud, Michiel Heyns a pu commencer à vivre de sa plume grâce au succès de son premier roman The Children’s Day paru en 2002 (sur la liste finale des Bookseller’s award). Il a ensuite publié The Reluctant Passenger en 2003, The Typewriter’s Tale en 2005 et Bodies Politic en 2008. Il faudra attendre 2007 pour la traduction en français du Passager récalcitrant (chez JC Lattès) puis la rentrée littéraire 2010 pour son titre Jours d’enfance.

Le Cœur régulier d’Olivier Adam, aux Éditions de l’Olivier

« C’est toi qui étais là après. C’est à toi de me le dire. » Justement, Sarah n’en sait rien. Nathan, son frère, elle l’a écarté de sa vie. Une vie parfaite avec un mari parfait, des enfants parfaits, un pavillon parfait. Une vie dans laquelle Nathan et sa folie, son alcoolisme et son instabilité n’avaient plus leur place. Alors, quand il disparaît dans un accident de voiture, Sarah se sent coupable d’avoir abandonné ce frère adoré dans le passé, qui était comme son jumeau. Elle ne supporte plus sa vie trop étroite dans un monde réglé au millimètre près. Elle s’enfuit au Japon, dans un petit village où son frère avait retrouvé la paix. Sarah tente alors elle-même de trouver cette paix intérieure, espérant y rattraper quelque chose de Nathan.


Olivier Adam signe ici une histoire exaltante d’une femme déchirée entre deux mondes, l’un intact et bien réglé de son mari, l’autre hors des sentiers battus de son frère. Ainsi, après Passer l’hiver (Goncourt de la nouvelle en 2004), À l’abri de rien (prix France télévision en 2007 et prix Jean-Amila-Meckert en 2008) et d’autres romans adaptés au cinéma, Olivier Adam confirme une fois de plus son talent. Son style décrit aussi bien les paysages que les émotions. L’auteur retrace de manière si précise les mouvements de l’âme qu’il est impossible de ne rien ressentir en lisant ces mots perturbants. C’est alors que nous entrons nous aussi dans la recherche frénétique des battements du « cœur régulier ».


Audrey

Rosa candida de Audur Ava Ólafsdóttir, éd. Zulma, traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson (332p.)


La rosa candida est une espèce rare de rose à huit pétales. C’est aussi la rose que la défunte mère d’Arnljótur cultivait dans sa serre et celle qu’il emmène avec lui lors d’un voyage vers le continent pour s’occuper de la plus belle roseraie du monde.
Arnljótur a 22 ans, vit en Islande, a un père protecteur, un frère autiste et une petite fille née d’un « quart de nuit » avec l’amie d’un ami, Anna. Il pense sans cesse au corps –le sien et celui des autres-, à la mort – celle de sa mère ou d’inconnus-, et aux roses –la passion que lui a transmise sa mère.
Audur Ava Ólafsdóttir est née en 1958 à Reykjavik. Après des études d’histoire, elle devient directrice du musée Universitaire d’Islande. Son troisième roman, Rosa candida est le premier à être traduit en français, a été applaudi en Islande et a reçu le prix littéraire des femmes et le prix culturel DV de littérature.
Le voyage d’Arnljótur vers cette roseraie mythique ou l’attend un moine cinéphile est également une découverte de lui-même ainsi que de sa fille dont Anna lui demande de s’occuper.
À travers ce long voyage pour rejoindre le monastère qui abrite la roseraie, Arnljótur va faire de nombreuses rencontres qui vont l’amener à se questionner sur sa relation avec les autres, connus ou inconnus. Mais la personne sur laquelle il apprendra la plus c’est lui-même, à travers la vision que les autres ont de lui et à travers la découverte de sa fille et de la mère de celle-ci.
Audur Ava Ólafsdóttir à travers Rosa candida nous livre un roman initiatique dans un univers poétique, dans un village oublié, au milieu des roses.


Fahrenheit 2010 d'Isabelle Desesquelles

Fahrenheit 2010 d’Isabelle Desesquelles, 198 p., éditions Stock

À l’heure où le statut et la place du libraire sont de plus en plus remis en cause par l’arrivée du numérique et des surfaces spécialisées, Isabelle Desesquelles nous dépeint avec une certaine ironie les conditions de vie à venir du libraire.

Cette jeune femme, anciennement directrice de la librairie Privat de Toulouse, l’une des plus grandes librairies de France, reconvertie en une librairie Chapitre.com, présente avec Fahrenheit 2010 son cinquième roman.

Que faire quand un magnat international américain décide de s’implanter sur le sol français ? Qui plus est pour créer une chaîne de librairie à l’instar de la Fnac et de Cultura ? Pas grand-chose et c’est bien de cela que parle ce livre avec une certaine justesse.

La narratrice, libraire depuis quinze ans, voit son statut changer du jour au lendemain avec l’arrivée de « La Multinationale ». Cette dernière, avec son réseau « Lachaîne », implantera une politique marketing à grande échelle dans le but de fidéliser la clientèle au détriment de la qualité et de l’excellence du lieu. Alors que son travail était sa raison de vivre et sa passion, il deviendra très vite un enfer et un malaise constants.

Fahrenheit 2010 est avec le roman graphique Moi vivant vous n’aurez jamais de pause ou comment j’ai cru devenir libraire de Leslie Plée, un livre dénonciateur de la nouvelle société de consommation.

L’originalité de la narration du livre, le regard critique et ironique de l’auteur permettent de montrer l’étendue des bouleversements du milieu des librairies. L’utilisation de surnoms absurdes pour décrire les dirigeants de cette dictature insensée, exprime d’un ton léger mais nécessaire les désillusions de cette libraire face à tant d’incompréhension devant sa passion des livres.