mercredi 23 novembre 2011

M. Peureux de Roger Hargreaves Hachette jeunesse – 1986

Roger Hargreaves ou le créateur d’une collection incontournable pour les tout petits ? Cet Anglais publié chez Hachette a bercé plus d’une génération avec ses « bonhommes » et « [ses] dames ». Et pour cause ! Ces livres traitent des aspects de la personnalité auxquels sont confrontés les enfants au quotidien. Ils peuvent ainsi facilement s’identifier aux personnages.

M. Peureux par exemple, est un classique du genre, son imagination débordante et sa paranoïa évidente font de lui un personnage très touchant. Il s’agit d’un bonhomme rose dessiné avec des contours imprécis, qui a peur de tout, absolument tout ! Le moindre son lui évoque des images d’horreur, il se pense donc constamment en danger et reste souvent paralysé par la peur. Un jour, cependant, il va prendre la décision de sortir de chez lui et d’aller explorer la forêt voisine à ses risques et périls… Par manque d’attention, il ne va pas voir le vagabond allongé sur l’herbe et va s’approcher sans se douter de la surprise qui l’attend. Soudain, lorsqu’il prend conscience du danger, on l’entend prononcer ces mots : « Oh, pauvre de moi ! Ce lion cruel va me couper en morceaux avec ses longues dents et ses griffes acérées ! Il va me hacher menu et m’avaler tout cru ! ». Que va-t-il donc advenir de M. Peureux ?

Le livre nous montre qu’avec un peu de calme et de raison, on parvient à vaincre nos peurs et qu’il ne faut pas se laisser submerger par nos angoisses. Si vous cherchez un ouvrage avec des illustrations de qualité et un genre littéraire poussé, vous ne frappez pas à la bonne porte. Néanmoins, le style assez scolaire et très épuré de ces petits livres au format carré est très accessible pour les enfants, les formes des dessins sont simples et le cadrage est intéressant (gros plans sur le visage du personnage, vue d’ensemble où on l’aperçoit à peine), le lecteur n’est pas inondé par une multitude de détails qui sont parfois peu pertinents. L’auteur se contente de l’essentiel pour la compréhension de l’histoire.

Ces contes modernes de Roger Hargreaves mettent en avant un enseignement utile pour la quête de soi mais, tout en légèreté, sans avoir une portée moralisatrice. Chaque livre de cette collection met l’accent sur un trait de caractère précis, qu’il soit positif ou négatif, et rend le choix d’un bonhomme ou d’une dame très subjectif dans la mesure où l’on se reconnaîtra plus facilement dans telle qualité ou tel défaut. Par conséquent, si vous n’êtes pas de nature peureuse, peut-être serez vous séduit par M. Incroyable, Mme. Bonheur ou encore M. Rêve.

Un conte de fées, la vie rêvée?

Le Troisième Vœu, Janette Rallison, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Daladier et Cyril Laumonier, La Martinière Jeunesse, 2010 Vous en avez assez des héroïnes parfaites de contes de fées attendant patiemment leur prince charmant sans rien faire? Le Troisième vœu devrait vous plaire. Le livre débute sur une lettre de Chrysantha Astrale (jeune élève à l’université des Marraines Fées) adressée au professeur Dor dans laquelle on apprend que pour valider son semestre sous peine d’être recalée, elle doit accomplir une mission. Accorder des vœux auprès de l’une des sœurs Delano, Jane ou Savannah, jeunes adolescentes Américaines aux caractères opposés. Nous découvrons la studieuse, paisible, discrète et responsable Jane (dix-sept ans) et l’insouciante, superficielle, populaire et jolie Savannah (seize ans) en froid car Hunter, le petit ami de la cadette, l’a quittée pour son aînée, avec laquelle il a plus de points communs comme un réel souci de son avenir et l’amour des études. Désespérée par cette rupture car elle espérait se rendre avec lui au bal de fin d’année du lycée, Savannah refuse par orgueil de donner une chance à Tristan, un ami de Hunter qui souhaitait la connaître et l’a accidentellement humiliée en public. La jeune fille est ravie de l’aubaine quand Chrysantha lui propose de réaliser trois vœux, désirant rencontrer le prince charmant à temps pour le bal. Seulement, la marraine fée est aussi égoïste, inattentive et peu soucieuse de ses agissements que sa protégée, ce qui attirera de nombreuses déconvenues à Savannah… Ainsi qu’à son entourage. « Je ne l’ai pas transformé en grenouille, il est bien trop mignon pour ça ! Sa façon de parler confirmait mes pires craintes. – L’as tu transformé en autre chose ? – Non, pas encore, je n’ai pas terminé. – Terminé quoi ? – De le transformer en prince. » Ce roman jeunesse, qui peut être lu par tous mais s’adressant surtout aux filles, est drôle et détourne à merveille les contes de notre enfance tout en y apportant une touche de modernité. On y apprend que le prince est tout simplement odieux ou encore que les lutins irlandais aiment jouer au poker avec les Gremlins d’ordinateur. La première partie du roman se concentre sur la vie de Savannah expédiée en plein Moyen Âge dans les rôles successifs de Cendrillon et Blanche-Neige où elle n’a pas du tout sa place et comprend que la vie de princesse de conte n’est pas si enviable. La deuxième partie relate les efforts de l’adolescente pour réparer les conséquences de son troisième vœu et la résolution d’un mystère au sein du royaume avec une intrigue solide et un dénouement assez surprenant, le tout dans un style simple, sympathique, avec des références à la culture populaire, auquel les plus jeunes lectrices s’identifieront sans peine (« Pour un personnage de dessin animé, Shang était canon »). Il y a une véritable évolution dans le personnage de Savannah, qui de jeune fille sans cervelle et gâtée devient courageuse et inventive. Le seul point noir serait la constance de certains personnages comme Jane et Hunter qui ne changent pas vraiment. Mais on oublie vite ce détail pour se concentrer sur les mésaventures de nos protagonistes, prêtant tantôt à sourire ou à trembler. Un véritable vaccin contre les rêves de princesses, vive les filles d’aujourd’hui !

Quand Grand-mère revenait… d’Anna Rouvière, illustrations d’Éric Battut

Quand Grand-mère revenait… est un album jeunesse paru aux Éditions du Jasmin dans la collection Karé, accessible dès l’âge de 5 ans.

Anna Rouvière décrit avec émotions les nombreux moments qu’elle a passé avec sa grand-mère aujourd’hui disparue. Elle évoque ici le deuil à travers ses souvenirs, des moments symbolique de son enfance passée en compagnie de son aïeule. Son style est tout en délicatesse et rythme :

« Quand Grand-mère revenait

avec moi de la forêt,

dans nos paniers il y avait

des mûres qui font la bouche bleue,

de la menthe sauvage,

des noisettes, des champignons,

dont elle me disait les noms,

cèpes, coulemelles, mousserons,

et un lézard vert qui me laissait

un bout de sa queue

quand il s’enfuyait.. »

Il est si bon de se remémorer ce temps où tout était plus simple, où l’on se satisfaisait de plaisirs simples, une promenade dans la forêt, ou l’odeur qui se répandait dans la cuisine de notre grand-mère lorsqu’elle cuisinait. Ces instants sont aussi ceux qui nous ont fait grandir, qui nous ont lancés à la découverte du monde qui nous entourait. Les grands-parents occupent une place importante dans la vie d’un enfant, ils sont souvent complices, comme dans cet album où la grand-mère ramène toujours un petit quelque chose de ses promenades pour l’offrir à l’enfant.

Éric Battut illustre avec tout autant de douceur le texte d’Anna Rouvière. Ses petits personnages plongés dans un décor fait de grands aplats colorés nous émeuvent, comme cette petite grand-mère souriante qui nous semble si fragile et ces paysages aux couleurs chaudes.

Voici un album qui plaira aux grands comme aux petits et qui replongera chacun dans ses souvenirs de vacances, dans les moments passés avec une grand-mère.


« J’ai beau réfléchir, je ne sais pas qui je suis ni qui j’aimerais être. » Le faire ou mourir, de Claire-Lise Marguier, Le Rouergue (2011)

C’est un livre tragique qu’annonce Claire-Lise Marguier avec son premier titre, Le faire ou mourir. Et pourtant, ce n’est pas le pathos qu’elle cherche à transmettre, comme il est si facile de le faire dès qu’on touche au sujet de l’adolescence. C’est un cri sourd et lancinant, celui de la révolte : contre la rigidité, les préjugés, l’exclusion et les barrières sentimentales. Un cri qui finit par nous percer les oreilles.

Damien grave son surnom à l’intérieur de ses cuisses avec une lame de rasoir : DAM 2 CARO. Le sang qui coule emporte avec lui le trop plein de ce qu’il ressent, en permanence, sans qu’il puisse le dire. Après s’être fait tabasser une fois de plus par la bande des « skateurs », il a rencontré Samy, jeune homme franc et décomplexé, vêtements noirs, maquillage sombre autour des yeux, piercings sur le visage. Pour la première fois de sa vie, il a senti qu’il existait, qu’on le considérait, qu’on l’appréciait. Alors que son père furieux tente de l’en empêcher, il se rapproche de Samy et de sa bande, adopte leur style et trouve dans leur affection un refuge. Mais l’affolement qui le gagne au fur et à mesure de son amour pour le jeune homme, la pression de son entourage, le rejet de sa famille le plongent dans une situation insupportable.

« Mourir ça me fout la trouille. J'ai juste envie de m'asseoir par terre dans le coin d'une pièce et de pleurer sur mon sort. Juste attendre que ça passe. Je voudrais être malade pour rester au lit, que tout le monde s'inquiète et s'occupe de moi. Comme un bébé. »

On étouffe avec lui dans cette vague de noirceur et de solitude. Enfin, quand Samy se rapproche de lui, cette fois là, dans sa chambre, Dam sait que tout peut basculer. Il faut choisir : le faire, ou mourir.

L’auteur nous montre d’abord le « mourir » : l’explosion, la violence, le massacre. Et on découvre, pour notre propre honte, à quel point c’est jubilatoire : après cette ascension de haine, le meurtre devient libération. Puis tout s’arrête. Flash-back, on rembobine. Et on se rend compte qu’en fait, ils l’ont « fait ». Et le dénouement heureux qui suit nous tire presque des larmes, à nous coupables d’avoir cru à la violence, d’avoir cru à ce qui aurait pu se passer si la haine avait gagné. Et elle n’en était pas loin.

Malgré un début presque répétitif, Claire-Lise Marguier excelle à nous faire bouillir intérieurement autant que son personnage, jusqu’à la prise de conscience que nous aussi, nous aurions pu choisir la haine. On sort de ce roman perturbé, essoufflé et coupable, touché par une telle justesse.

Le Royaume de Kensuké, Michael Morpurgo

Le Royaume de Kensuké est un livre traduit de l’anglais par Diane Ménard et publié chez Gallimard Jeunesse. Il a reçu le Children’s Book Award 2000 en Grande-Bretagne.

Michael Morpurgo, célèbre auteur de plus d’une soixantaine d’ouvrages pour la jeunesse (par exemple, Kaspar, le chat du Grand-Hôtel ou Le Jour des baleines), connus dans le monde entier et très souvent primés, a toujours été passionné par deux grandes œuvres de la littérature : Robinson Crusoé et L’Ile au trésor. Et c’est tout naturellement qu’il a écrit lui-même sa propre histoire d’île déserte et de naufragé.

L’histoire commence sur une révélation. Michael a un secret à nous dire, cela fait dix ans qu’il le garde précieusement au fond de son cœur et dans ses souvenirs : « J’ai disparu la veille de l’anniversaire de mes douze ans. Le 28 juillet 1988. Aujourd’hui seulement, je peux enfin raconter toute cette histoire extraordinaire, la véritable histoire de ma disparition. Kensuké m’avait fait promettre de ne rien dire, rien du tout, jusqu’à ce que dix ans au moins se soient écoulés.»

Le jeune garçon a onze ans et vit avec sa famille : sa mère, son père et Stella Artois, sa chienne. Lorsque son père se fait licencier, Michael, ses parents et Stella sont obligés de vendre la maison. Ainsi commence leur nouvelle vie à bord d’une péniche, appelée Peggy Sue.

Leur maison flottante va leur faire découvrir de nombreux pays : Amérique, Australie, Afrique, etc. Tout le monde semble heureux à son bord. Et pourtant, une nuit, alors qu’une tempête fait rage et que les parents son endormis profondément, Stella tombe à l’eau. Michael tente par tous les moyens de la récupérer, mais tombe à son tour, instable sur la péniche secouée par les vagues.

Désireux d’échapper à la noyade, il se débat de toutes ses forces dans l’eau noire et glaciale , avalant des trombes d’eau salé tandis que le bateau s’éloigne à l’horizon, jusqu’à disparaître complètement de sa vue. Le jeune garçon finit par s’endormir dans l’eau, complètement épuisé, et lorsqu’il se réveille, il se retrouve échoué sur une île déserte avec sa chienne : « Je regardais autour de moi. Pas de haubans au-dessus de moi, pas de voiles. Pas de mouvements au-dessous de moi, non plus, pas un souffle de vent. Stella Artois aboyait, mais comme si elle était loin. Je n’étais pas du tout sur un bateau, j’étais allongé sur du sable. »

Se croyant seul, Michael va survivre du mieux qu’il peut avec Stella. Un matin, alors qu’il est à bout de force, il remarque que quelqu’un a déposé près de la « cabane » qu’il s’est construite un peu de nourriture ainsi que de l’eau douce. Il n’est donc pas seul sur l’île ! L’espoir lui revient, il se met à chercher cette personne et va finir par trouver le vieil homme, nommé Kensuké. Un fort lien d’amitié va les unir tous les deux, et ils vont vivre ensemble de merveilleuses aventures et partager des moments uniques. Mais un jour, les parents de Michael parviennent à le retrouver, et ce dernier doit abandonner son ami pour retourner avec ses parents. Et pourtant, leur amitié continue à vivre à travers leurs souvenirs. Michael n’oubliera jamais Kensuké.

Cette histoire est très touchante et est destinée à un public du même âge que Michael (plus de dix ans). Dans le corps du texte, on retrouve de nombreuses illustrations faites par François Place, qui permettent de donner vie au roman. Le livre est très agréable à lire, on se met réellement dans la peau du héros et l’amitié entre les deux hommes est bouleversante. L’histoire est triste parfois, mais les situations finissent toujours par s’arranger. De même, de nombreuses péripéties viennent faire rebondir l’histoire sans cesse. Ainsi, lorsqu’on lit le livre, on est toujours touché par de vives émotions : de la peine, de la crainte, de l’amusement, de la joie, etc.

Ce livre est à recommander à tous les enfants et jeunes adolescents qui aiment l’aventure et les situations hors du commun.

Le Petit Poucet des temps modernes

L’enfant Océan, Jean-Claude Mourlevat

Pocket Jeunesse

Dans ce roman jeunesse publié pour la première fois en 1999, le lecteur suit une famille de sept frères, partis en pleine nuit pour fuir un danger.

Cette fratrie est constituée de trois paires de jumeaux de 14, 13 et 11 ans, ainsi que de Yann, le petit dernier, âgé de 10 ans. Ce dernier est, contrairement à ses frères, de nature chétive, mesure à peine quatre-vingt-dix centimètres et est muet. Pourtant, c’est lui qui préviendra ses frères que leurs parents veulent les tuer, lui qui organisera leur périple jusqu’à l’Océan et leur donnera les directives pour survivre jusqu’à leur but.

Ce roman se présente sous la forme d’un interrogatoire. Chaque personne ayant croisé la route de ces enfants raconte, de son point de vue, ce qui s’est passé : les six garçons ainsi que leurs parents, l’assistante sociale, la boulangère qui leur donna du pain, une retraitée, etc. Yann n’interviendra qu’une fois, à la fin de l’ouvrage, pour donner des indications supplémentaires sur les causes de leur départ.

L’auteur a réussi à faire passer, grâce au langage soutenu ou encore grossier, la place qu’occupe ces personnes dans la société. Ainsi, la mère Doutreleau s’exprime de façon vulgaire, avec des expressions particulières :

« La fille, je l’attendais. Vu que Doutreleau y’avait foutu le cartable à la baille, au gosse, ça pouvait pas finir autrement. Y pousse Doutreleau, mais faut le comprendre. Quat’fois qu’on l’appelait, le gosse, pour venir manger la soupe. »

Le lecteur passe donc aisément d’un récit à l’autre, en pouvant distinguer facilement qui parle. Au sein même de la famille, grâce à ces différentes façons de s’exprimer, on distingue également le caractère des personnages. On peut citer par exemple les cadets, qui ont une façon plus violente que leurs aînés de s’exprimer, étant de nature plus agressive.

Ce roman rappelle par touches le célèbre conte du Petit Poucet. En effet, le chemin menant à leur maison s’appelle « Chez Perrault », le petit Yann ressemble étrangement à Poucet ou encore leur destination finale se trouve être la maison d’un père de sept jeunes filles. Cependant, les comparaisons s’arrêtent là, l’auteur n’ayant pas écrit une réadaptation du texte, mais bien une critique de la société actuelle. Cet ouvrage peut se lire à partir de 10 ans, mais en grandissant, le lecteur comprend plus facilement la détresse de ces enfants.

Atteindre un but, vivre par ses propres moyens, s’occuper de ses frères… Ce sont des « activités » que ne devraient pas vivre des enfants de cet âge. Pourtant, on remarque la maturité dont ils font preuve, leur intelligence et l’envie de se protéger mutuellement, tout en gardant leur innocence.

Ce roman est une belle histoire de famille, où les enfants montrent leur capacité à se débrouiller seuls, sans l’aide d’adultes incapables de les protéger. Tout en se terminant « bien » pour la fratrie.

LA CHOSE de Béatrice Fontanel et Alexandra Huard – Éditions Sarbacane –

Voilà un album plein d’humour qui ne prend pas les enfants pour des idiots en cherchant à tout prix à être pédagogique. L’histoire nous est racontée par Scipion et Hannibal, chiens d’une bonne famille où la vie tranquille a été chamboulée par l’arrivée de LA CHOSE. LA CHOSE, mais qu’est ce donc ? Au fil de leur discussion, nous découvrons peu à peu les événements des mois passés, « […] pourquoi n’avons-nous pas vu venir la catastrophe ? », des faits étranges que les chiens n’ont pas su interpréter comme il fallait . Tout d’abord leur maîtresse tant aimée a commencé à grossir, à grignoter et à s’attendrir au parc devant les enfants pendant que les chiens, eux, recevaient du sable dans les yeux. Ensuite nos conteurs sont relégués à la cuisine et les murs de leur ancienne chambre sont repeints, en rose, avant d’accueillir une niche de luxe avec des dentelles. Un nouveau chien va peut-être agrandir la famille ? Oui mais voilà la maîtresse un jour, ne rentre pas à la maison, nos héros s’inquiètent de son absence jusqu’au moment où elle réapparaît avec LA CHOSE « ce qu’on en apercevait était rouge et molle… on aurait dit du pâté. Parfois, ça sentait franchement mauvais et souvent, ça criait […] » Hannibal et Scipion se voient alors délaissés par leur chère maîtresse, mêmes leurs promenades sont devenues une torture, attachés à la niche à roulettes, ils n’ont d’autres choix que de courir ! Mais heureusement pour eux les choses vont mieux aujourd’hui, enfin… cela reste à voir.

Le dessin est à la fois réaliste et fantaisiste, tout en détail (parfois rétro) et surtout en couleur ! Quant au texte c’est un petit bijou où ironie et émotion se confondent. Le niveau de langue est presque soutenu ce qui détonne par rapport aux habitudes de l’édition jeunesse et le second degré fait oublier le sujet central, l’arrivée d’un bébé, pour nous émouvoir sur les conditions de vie de nos « Aristochiens » Hannibal et Scipion.
Un livre jubilatoire à partir de cinq ans qui plaira aux enfants (à qui l’on parle comme des grands) aussi bien qu’aux parents.

mercredi 21 septembre 2011

"Allez savoir ce qui se passe dans la tête d'un joueur" ou dans celle d'Amélie Nothomb

Depuis 1992, année de publication d’Hygiène de l’assassin, Albin Michel est assuré de publier un succès à chaque rentrée littéraire grâce à mademoiselle Nothomb. Depuis dix-neuf ans déjà, elle écrit dans tous les genres, notamment autobiographique (Stupeur et tremblement) ou science-fiction (Péplum) sur tous les sujets, de l’homosexualité (Le Sabotage amoureux) à la folie (Journal d’Hirondelle) en passant par la guerre (Une forme de vie) avec autodérision, humour et poésie. Son millésime 2011, Tuer le père, s’annonçait donc digne de ses prédécesseurs. Il n’en est rien.

Tuer le père commence quand l’auteur, qui se met en scène comme dans nombre de ses romans, voit dans une soirée les deux plus talentueux prestidigitateurs américains, Joe Whip (trente ans) et Norman Terence (cinquante ans). Elle remarque avec surprise que Norman regarde Joe jouer au poker avec insistance. On lui raconte leur histoire, une histoire de magie, de duperie, de non-dits, de jeu et d’amour paternel. L’ensemble s’annonçait donc intéressant. Seulement, dans cet opus, l’effet Nothomb ne prend pas. L’histoire est creuse et presque soporifique. Les personnages sont assez plats et faibles dans leurs agissements, ils ne donnent aucune raison particulière de les apprécier. Le thème du jeu et de la tricherie, omniprésents, sont bien rendus et prenants, il y a quelques jolis moments et un retournement de situation final assez surprenant mais ils ne suffisent pas à rattraper l’ensemble. Quelle déception !

Sur la couverture présentant comme d’habitude son portrait, Amélie Nothomb est représentée par un collage papier au feutre noir sur des pages de Biographie de la faim. Une invitation à relire ses bons titres en espérant que la prochaine cuvée soit meilleure?

L'Équation africaine par Yasmina Khadra chez les éditions Julliard. Mauvais calcul ?

« Afrique, mon Afrique, tu m’a mis la mort dans une main et le tort dans l’autre »

Vous pensiez tout connaître sur les méandres de l’horreur en Afrique ? Yasmina Khadra vous prouve à nouveau le contraire ! Après sa fameuse trilogie du Grand Malentendu nous avons maintenant affaire dans L’Équation africaine, à Kurt, un médecin originaire de Frankfurt, et à Bruno un Français ancré dans la culture africaine depuis des années. Âmes sensibles s’abstenir ! L’auteur nous plonge ici dans une conception de la vie bouleversante où les deux personnages principaux vont vivre une série d’épreuves dramatiques.

L’Afrique, une terre de polémique ? « Là où vous brossez un conte de fées, je vois un désastre ». Dans un monde où tout oppose Orient et Occident, on assiste à cette rencontre improbable entre les deux personnages qui donne lieu à de nombreux débats philosophiques sur l’existence et la vie puisqu’ils ont un état d’esprit totalement différent sur le mode de vie africain. L’un se laisse voguer sur les eaux de l’inattendu et de l’espoir tandis que l’autre se noie dans un pessimisme profond.

Ce qui va réunir Kurt et Bruno c’est leur combat perpétuel face à la mort et plus précisément face à leurs ravisseurs. Ils se font enlevés par des pirates somaliens et sont amenés à subir des conditions de vies déplorables dans un milieu ou le sang et la guerre sont des éléments quotidiens.

Si L’Équation africaine dresse un tableau affolant bien que réel de l’Afrique noire, on ne peut qu’être attendri par Kurt et Bruno qui parviennent toutefois à profiter du peu qu’il leur reste, des bonheurs simples comme la splendeur d’un paysage ou le sourire d’une femme et des rencontres surprenantes. Malgré les horreurs de la guerre, on constate qu’une expérience traumatisante au fin fond de l’Afrique peut donner lieu à une renaissance de l’âme, à une reconstruction de l’être : « je suis passé de l’existence à la vie .»

Ce continent réserve à quiconque s’y aventurera de multiples surprises et découvertes, c’est du moins ce que montre Yasmina Khadra dans cet ouvrage d’une simplicité de lecture étonnante.

Le pacte des vierges - Vanessa Schneider – Éditions Stock

Un roman construit comme une interview qui flirte avec le texte documentaire. En effet, Vanessa Schneider est avant tout journaliste politique, auteure d’un essai et d’un film documentaire. Elle publie un premier roman, une autobiographie, en 2008, puis un second en 2009. Avec ce récit, elle mêle brillamment journalisme et quête émotionnelle.

Une auteure, mère de trois enfants décide de rencontrer quatre jeunes filles au cœur d’un fait-divers et de faire de leur histoire un roman. En 2008, une révélation scandalise l’Amérique, dix-sept lycéennes de la ville de Gloucester (35 000 habitants) dans le Massachusetts, toutes âgées de moins de seize ans, attendent un enfant. Grossesses accidentelles ou volontaires ? L’opinion publique s’offusque de la situation tout en créant le buzz autour de cette affaire, quitte à harceler et déstabiliser les futures mères.

Au cours du récit, notre auteure-journaliste ne prend jamais la parole, les propos des filles permettent cependant de deviner ses questions et réactions. L’affaire nous est donc dévoilée à travers les voix de Lana, Sue, Cindy, Kylie, qui se succèdent à chaque chapitre. Les jeunes filles assaillies par les journalistes pour parler de leur grossesse sont sceptiques, Lana, la meneuse du groupe accueille froidement l’auteure et filtre les informations transmises. L’existence d’un pacte est ainsi niée. Mais peu à peu le véritable intérêt humain de l’auteure pour cette affaire et surtout la détresse des futures mères ont raison de leur mutisme. Le lecteur reçoit ainsi les éléments au compte-gouttes, sans ordre chronologique, ni liens entre les différents éléments.

Au fil des pages le livre aborde une dimension plus psychologique, le fait divers est occulté pour plonger dans le quotidien de la grossesse moins agréable que ce à quoi les adolescentes s’attendaient (les nausées, les envies pressentes, la prise de poids importante). Les jeunes filles désormais en confiance avec l’auteure réfléchissent à leur situation, leur bébé tant désiré devient de plus en plus réel et les angoisses surgissent. Le passage rapide et presque violent du statut de fille à celui de mère est mis en avant, occultant ainsi celui de femme. Les blessures d’enfances éclaboussent l’auteure malgré elle, cette grossesse apparaît comme un but, un espoir, c’est une revanche, un moyen de ne pas lâcher la vie. Ces quatre jeunes filles nous apparaissent à la fois fortes et terriblement fragiles, elles livrent leur histoires, un père absent et une mère mutique pour Lana, Cindy abandonnée par sa mère, Sue nombril d’une famille puritaine et étouffante de bonne conscience teintée d’hypocrisie, Kylie affublée d’une mère enfant superficielle sur qui elle ne peut pas compter.

Le jugement que l’on peut porter sur ces jeunes filles se mue en compréhension au cours du récit, par ailleurs, Vanessa Schneider n’épargne pas sa profession : les médias apparaissent comme des vautours, en perte d’humanité, prêts à tout pour obtenir l’exclusivité.

Le modèle de santé américain, est également mis à mal, faute d’argent aucune des jeunes filles n’est suivie par un médecin. L’accent est mis sur une société hypocrite qui se veut un symbole de réussite et de bonne conscience mais se révèle parfois être un univers de détresse et de persécution. Loin d’être une incitation au pathos et à l’apitoiement, ce roman est le vecteur d’un message politique et social illustré par un cas réel. Mais c’est avant tout un livre sur le quotidien de tant de personnes qui échappent à une réussite standardisée sans perdre de leur humanité et de leur intérêt.

Drames d'une famille parfaite, dans Rien ne s’oppose à la nuit, de Delphine de Vigan, chez JCLattès.

Rien ne s’oppose à la nuit est le sixième ouvrage de Delphine de Vigan. Dans ses titres précédents, elle avait déjà distillé par bribes la personnalité de sa mère, mais en l’atténuant, comme dans No et moi.

Cette fois, sa famille est le sujet principal de l’ouvrage, et plus particulièrement sa mère. Pour cette biographie, elle se fonde sur ses propres souvenirs, mais également sur des interviews des membres de sa famille, avec toujours ce souci de raconter « sa » Lucile, sa mère telle qu’elle l’a connue. Écrire cette biographie était un réel besoin pour Delphine de Vigan, une obligation, pour mieux comprendre pourquoi elle-même tentait toujours d’être différente en tant que mère.

Pour la petite histoire, cet ouvrage nous plonge dans la vie d’une famille nombreuse en apparence heureuse, mais qui a vécu de nombreux drames, comme le décès accidentel du jeune Antonin, à six ans (l’origine des malheurs de cette famille), des suicides, un possible inceste, le handicap, etc. Ces évènements ont marqué chaque membre de la famille, mais ils se sont tous plus ou moins relevés de ces drames, certains moins bien que d’autres.

Delphine de Vigan évoque à de nombreuses reprises une biographie de Lionel Duroy, Le Chagrin, qui, en révélant son enfance et les travers de ses parents, est aujourd’hui détesté par sa propre famille. C’est pourquoi elle se demande souvent si évoquer tel ou tel pan de la personnalité d’un proche est dérangeant pour les autres, puisque chacun a sa propre perception de ces histoires de famille.

Le récit alterne entre la première personne du singulier, lorsque Delphine de Vigan intervient dans l’histoire, avec ses souvenirs et son avis, et la troisième personne du singulier, lorsqu’elle imagine la vie que sa mère devait avoir, en mettant toujours en évidence qu’il s’agit de sa propre interprétation, et en aucun cas une vérité établie. Elle établit donc une distinction entre la fiction et ses souvenirs réels.

La folie, l’absence d’une mère en tant que telle sont des thèmes récurrents, puisque l’auteur elle-même fait tout pour ne pas ressembler à cette mère, tout pour ne pas avoir la même attitude envers ses filles, quitte à les surprotéger.

Cet ouvrage montre le coté sombre d’une famille « ordinaire », ses bons et mauvais moments, sans tomber dans le voyeurisme. On partage ses malheurs, on souffre avec ces personnes réelles, car la fin est déjà expliquée au début de l’ouvrage, telle une tragédie antique.

Ainsi, on anticipe chaque drame, tout en espérant se tromper.

Du domaine des murmures, histoire d'une jeune fille entre quatre murs par Carole Martinez, Éditions Gallimard (2011).

   Douce Esclarmonde, veux-tu m'épouser ?
   Que nenni ! Je préfère m'emmurer.

 Nous sommes en 1187, en plein Moyen Âge. Vous êtes jeune et vive, toute pimpante, princesse du domaine des Murmures et vous allez bientôt devenir la promise - on ne vous demande pas votre avis - d'un coureur de jupon, arrogant : un certain Lothaire de Montfaucon.
« Comment échapper à cette destinée sinon avec l'aide du Christ ? »

 Esclarmonde n'a que quinze ans lorsque son père décide de la marier. Mais contre toute attente, elle ose dire « non » et devant la noce scandalisée, fait le choix de s'offrir à Dieu ; seul capable « de tenir les hommes en échec et leur arracher une vierge ».

 Dans « Esclarmonde », il y a le mot « éclat ». Un prénom porté à merveille par cette jouvencelle au caractère bien trempé, très mature pour son âge et maîtresse de son destin. Le voeu qu'elle prononce est sans retour, sa décision irrévocable. Elle sera emmurée vive, en parfaite communion avec son nouvel amour : le divin, et pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux – qui dit mieux ? « Cette bouche de pierre est devenue la mienne, mon unique orifice. »

 Étrangement, c'est un livre dans lequel on voyage : à travers les récits de ceux qui lui rendent visite d'abord, puis à travers sa foi, sa quête de spiritualité, facilement partagée grâce à l'emploi judicieux de la première personne du singulier. Le style est fin, presque sensuel. L’écriture glisse, les mots filent…comme un murmure. « Je suis l’ombre qui cause. Celle qui s’est volontairement clôturée pour tenter d’exister. Je suis la vierge des Murmures ».

 L’expérience est réussie, tout à fait « mystique » et « charnelle » comme nous l’avait promis la quatrième de couverture. Le lecteur, témoin de la nature parfois cruelle des hommes, est transporté au cœur des superstitions et des légendes d’une époque moyenâgeuse révolue. Après son premier roman Coeur cousu, Carole Martinez fait son grand retour, sous les traits d’une magicienne. Et nous nous garderons bien de réveiller tous les secrets de ce nouvel opus, ensorcelant jusqu’à la moelle !

Un avenir, Véronique Bizot

Un avenir est le deuxième roman de Véronique Bizot, succédant ainsi à Mon couronnement (Actes Sud, 2010) reçut le prix Lilas.

Véronique Bizot nous dépeint l’univers familial d’une fratrie, composée de trois sœurs et deux frères, que tout oppose, incapables de se comprendre, et de fuir ce carcan familial qui les lie malgré eux. La demeure familiale est au sein même d’un étouffement général, il leur est impossible de fuir cette maison. Odd, qui y vit désormais seul, envoie une lettre à son frère jumeau, Paul, pour le prévenir de son départ. Il lui demande en post-scriptum d’aller vérifier un robinet de la maison familiale qu’il craint ne pas avoir purgé. Paul s’engage donc dans un voyage qui va le replonger dans les souvenirs de son enfance. Il a conscience que le départ de son frère est intimement lié à la maison dans laquelle ils ont grandi. Pour la fratrie, « celui qui resterait vivre là était à plus ou moins brève échéance condamné au dépérissement ».

La lettre d’Odd est un appel de détresse à sa famille, seul son frère jumeau en prend la pleine mesure.

Paul parcourt la maison familiale de pièces en pièces, vagabondant parmi les souvenirs qui s’y accrochent. C’est avec lucidité qu’il fait le point sur chacun des membres de sa famille, dont il décrypte les angoisses et névroses. Ils semblent tous animer par une peur de l’abandon, de l’échec. Ils pratiquent la fuite en avant, afin de s’éloigner de cette demeure familiale maudite.

Un avenir n’est pas que la synthèse des tourments, des craintes et de la folie de l’homme, c’est aussi une note d’espoir sur la possibilité d’un avenir tout autre à condition que nous le prenons en main comme le fait Paul à la fin de ce roman.

Ce roman se lit d’un trait, il nous laisse l’impression qu’une noirceur irradie tous les hommes mais que chacun s’emploie, du mieux qu’il peut, à la cacher aux regards des autres.

Véronique Bizot est également l’auteur deux recueils de nouvelles, Les Sangliers (Stock, 2005), Les Jardiniers (Actes Sud, 2008).

Actes Sud, 104 pages, 15€

Vous êtes nés à la bonne époque, Matthieu Jung

« Je ne prétends pas que celles qui n’ont pas d’enfants sont des fleurs fanées [...] simplement moi si je n’ai pas mon deuxième, je peux examiner la question sous toutes les coutures, je dois admettre que ma vie perdrait son sens, c’est clair ça au moins ? »


Matthieu Jung, ancien libraire et auteur de La Vague à l’âme (Scali, 2007) et Principe de précaution (Stock, 2009), nous emmène cette fois au cœur des beaux quartiers de Paris dans son tout nouveau roman Vous êtes nés à la bonne époque.


Ce livre, écrit à la première personne, nous plonge dans l’univers et dans la tête de Nathalie Dumont, médecin de quarante-deux ans et mère d’une jeune fille de vingt-deux ans partie vivre aux Etats-Unis. Cette mère comblée habite un vaste appartement dans le quartier de la Bastille et a tout pour être heureuse. Divorcée et tout juste séparée, elle rêve d’un mari idéal et d’un deuxième enfant, ce qui finit par l’obséder.


Elle rencontre Arno Genic, peintre d’une vingtaine d’années, vivant de son art. Tous deux vont vivre une véritable idylle. Le désir d’enfant de Nathalie de plus en plus fort, leurs milieux sociaux, leur âge, leurs intérêts… Tout semble les séparer. Ou presque.


Ce roman très agréable et facile à lire, possède un style léger : nous sommes Nathalie, cette mère célibataire désespérée. En effet, l’auteur nous met dans la peau de son personnage tout au long du roman par l’utilisation du « je ». Nous savons tout de Nathalie, nous connaissons ses pensées, ses désirs, ses craintes. L’auteur utilise beaucoup d’expressions familières, on a réellement l’impression de lire les véritables pensées de Nathalie. L’humour est constamment présent.


L’histoire peut sembler tout à fait banale, mais les événements qui se déroulent dans les dernières pages la rendent complètement singulière et atypique. Cependant, on reste sur notre faim ; on a envie d’en savoir plus, d’apprendre ce qui va se passer ensuite, que l’histoire continue.


En définitive, ce roman est simple à lire, il possède un style léger et est idéal pour se détendre. Il propose une réflexion sur notre époque, sur nos automatismes de pensées, sur nos tics de langage, sur le temps qui passe trop vite…


(Matthieu JUNG, Stock, 2011)

Les multiples coeurs de Sacha Sperling (Les Coeurs en skaï mauve, Fayard 2011)

Cœur à part dans une famille de cinéastes – et pas des moindres puisqu’on peut citer des grands noms comme Diane Kurys, Alexandre Arcady et l’indigeste Alexandre Aja – , Sacha Sperling affirme son talent d’écrivain avec son deuxième roman, Les Cœurs en skaï mauve. Mais cette fois-ci, il ne s’agit plus du parcours chaotique d’un collégien (Mes illusions donnent sur la cour, Fayard 2009) : le thème et l’univers sont d’un autre registre.

Jim, parisien solitaire, partage son temps entre son travail dans un vidéoclub et les kilomètres sans but au volant de sa Clio, revivant à sa manière un Sur la route moderne et décalé. C’est au hasard d’une soirée qu’il rencontre Lou, jeune femme sublime et paumée qu’il entraîne à sa suite dans une courte aventure qu’on peut qualifier d’initiatique, aux odeurs de fast food et d’hôtels bon marché, teintée d’un lointain rêve californien.

Mais au-delà de cette intrigue par ailleurs très épurée et secondaire, c’est une atmosphère qui s’empare de nous dans le livre. Ces deux personnages à part nous rappellent inévitablement une partie de nos penchants et instincts refoulés ; ils sont en quelque sorte le « prétexte » de multiples échanges, réflexions, descriptions parsemés de références et de métaphores aussi frappantes qu’inattendues. Tout cela soutenu par un rythme saccadé : les paragraphes et les chapitres s’enchaînent à une vitesse folle, l’italique marque indifféremment les pensées de l’un ou de l’autre ainsi qu’une voix-off omnisciente… Les dialogues, quant à eux, interviennent sans prévenir. Mais cette structure désarticulée nous donne un calme étrange, comme celui que l’on trouve en filant à toute vitesse sur une autoroute. La vue fatigue mais l’esprit s’échappe, créant cette sensation qui laisse arrière-goût de changement et de fraîcheur. Quant à l’histoire d’amour, celle de doux-dingues en recherche d’eux-mêmes et qui reste l'axe principal du roman, elle est, bien au delà des situations peu glorieuses voire carrément glauques, réellement embellie par cette multitude d’échanges et de réactions à la fois troublants et résonnants d’une certaine vérité. Sperling colore et rafraîchit, ni dans le rire ni dans le pathétique, ni dans la philosophie ni dans le vulgaire, ni dans le rose ni dans le violet. Merci Sacha, donc. Et maintenant qu’on te connaît… « eh ben on te connaît. Et peut-être que si t’as de la chance, on t’oublie pas. »

À vol d'oiseau — Jim Lynch

À vol d’oiseau de Jim Lynch remporte à sa sortie un franc succès outre Atlantique. Il a été élu un des meilleurs livres de l’année en 2009 par Washington Post et le Wall Street Journal.Il arrive fraîchement traduit par Jean Esch (traducteur également de Michael Connelly, Patricia Cornwell…) aux éditions des Deux Terres.

À vol d’oiseau peint un portrait réaliste de cette Amérique conservatrice en guerre contre le trafic de drogue. On découvre le personnage de Brandon, jeune homme benêt et maladroit, nouveau dans la brigade de police chargée de la surveillance des frontières immatérielles dans cette région de campagne, alors que son père ne veut pas de lui pour reprendre son affaire de bovins.

Au fil des pages, le lecteur s’attache à ce héros ordinaire multipliant les arrestations avec une terrible insouciance de la cruauté inhérente à ce milieu de la drogue. Brandon subit depuis son plus jeune âge les railleries des villageois ne connaissant de lui que son physique disgracieux et son léger autisme. En mettant sous les verrous les trafiquants de cannabis, terroristes et clandestins, il devient, un justicier précieux pour tous. Car il était avant cela la cible de ses voisins et collègues, de vieilles peaux cyniques qui, dans ce petit milieu agricole, lancent et entretiennent des rumeurs et, consomment sans relâche le fruit du commerce illégal local : le cannabis.

Brandon est attachant, son personnage bien construit est d’une candeur extrême. Son amour pour la nature apporte beaucoup de douceur parmi ce monde parallèle illicite peuplé de politiciens et d’agents d’influence. Brandon trouve sa place petit à petit et prouve à la communauté qu’il a sa place parmi eux et notamment au sein de cette brigade de police où les caméras de surveillance viennent menacer les postes de surveillance de la frontière. Sa passion pour les oiseaux dont il énonce les noms lorsqu’il en croise vient apporter au roman un peu de légèreté, ce dont l’histoire manque cruellement parfois.

Le roman se lit bien, Lynch possède un style fort agréable, remarqué lorsqu’il publia son premier roman, Marée basse, avec un ton jamais vraiment grave. De l’humour et quelques rebondissements aident le lecteur à finir le roman qui traîne un peu en longueur parfois car malheureusement, À vol d’oiseau est un roman rempli de clichés sur l’Amérique en général avec une histoire très « à l’américaine » où les gentils triomphent toujours.


dimanche 23 janvier 2011

La Guerre des banlieues n'aura pas lieu, d'Abd Al Malik, au Cherche Midi

« On ne fait pas de la littérature avec des bon sentiments », disait André Gide. Il aurait été aimable de prévenir Abd Al Malik avant que celui-ci n’écrive son dernier roman, La Guerre des banlieues n’aura pas lieu. Tout le monde ne semble pas pourtant de cet avis, puisqu’il a été édité et qu’il a même reçu le prix Edgar Faure, du meilleur roman politique.
Au crédit de son éditeur, Le Cherche Midi, il faut avouer que l’idée de voir un déclameur de posés s’essayer à l’art du roman était plutôt plaisante. En temps normal, Abd Al Malik est en effet d’avantage connu pour son slam, poésie déclamée. Il a contribué, avec Grand Corps Malade, à faire connaitre au grand public ce nouveau genre musical, issu du rap.
Dans son livre, comme dans son slam, Abd Al Malik parle du problème des banlieues pauvres, où il a grandi. Pourtant, malgré ses hautes ambitions, ce livre, qu’on ne saurait en vérité classer car il tient à la fois du roman, de l’autobiographie, de l’essai politique et même du message spirituel, ne nous apporte finalement pas grand-chose.
La réflexion sur le problème d’intégration des jeunes des cités n’amène rien de niveau au débat, se limitant à un discours très consensuel. Cela explique sûrement pourquoi Olivier Dassault, membre du jury de l’ambigu prix Edgar Faure, mais également homme politique rétrograde et fils de Serge Dassault, le grand patron de presse multimilliardaire, n’a pas vu d’inconvénient à le récompenser pour son roman politique.
L’histoire du personnage, Peggy, ancien délinquant fraîchement sorti de prison où il s’est converti à l’Islam, aurait pu apporter une dimension subjective intéressante mais l’écriture se révèle trop pauvre. L’auteur jongle mal entre écriture orale et littéraire. Il en résulte un mélange brouillon et sans personnalité. De plus, Abd Al Malik apparait trop clairement derrière son personnage. Le lecteur n’est pas dupe et il s’agace : pourquoi ne parle-t-il pas directement en son nom plutôt que d’intervenir sans cesse dans le livre : introduction, remerciements, « autoportrait kaléidoscopique » où il a la bonté de nous informer de ses livres, films et chanteurs préférés.
Enfin la constante référence à la religion est gênante. Le livre dédie des pages entières à des extraits du Coran ou à des discours de maîtres soufistes. De fait Abd Al Malik et donc son personnage, se sont convertis à l’Islam et ils tentent de nous offrir un point de vue sur la religion plus spirituel que celui que nous apportent d’ordinaire les médias en l’associant au terrorisme. D’une certaine manière, c’est réussi. On s’étonne de découvrir ce courant d’interprétation spirituelle de l’Islam. Mais la chose est présentée de manière si maladroite que l’on a tantôt l’impression qu’il nous fait un cours sur l’Islam, tantôt qu’il veut nous convertir. Dans les deux cas, la tentative est déplacée.
On comprend bien que l’auteur veut nous transmettre son regard sur le monde, éclairé par le soufisme et par sa propre histoire, mais l’on comprend surtout qu’il veut parler de lui-même et que ce regard est narcissique. Il écrit : « Moi je suis un gars plutôt pas mal dans mon genre […]. C’est un constat : je suis vraiment pas un type comme les autres. », ou encore « J’étais juste le Philosophe, le type que la rue avait proclamé “L’enculé le plus intelligent du quartier”. »
Pour faire de la littérature, il faut parvenir à puiser dans sa subjectivité tout en abandonnant son ego, afin d’atteindre une parcelle de l’universel. Il faut sentir les choses plus que les raisonner. Il faut faire sien les mots, ne pas imiter.
Bref, La Guerre des banlieues n’aura pas lieu a un intérêt littéraire et politique tout-à- fait réduit mais il conviendra sans doute aux fans d’Abd Al Malik, et après tout, c’était peut-être le but.

mercredi 19 janvier 2011

Interdit, de Karine Tuil, 2010, Grasset.

Il est indéniable que l’interdit est une chose qui à la fois nous arrête et nous fascine. En cela, le roman de Karine Tuil est tout à fait fidèle à son titre.

Interdit est un roman qui laisse un arrière-goût amer et piquant. Il suscite, chez le lecteur, un mélange de sentiments hétéroclites : drôle tout en étant tragique, triste en étant humoristique, agréable en étant oppressant, Malsain en restant plaisant… et vice-versa. Si l’on pouvait réduire ces impressions en un seul mot, il s’agirait probablement de confusion. Non pas que le texte soit confus, loin de là, mais le terme traduit bien l’état d’esprit à la fois du lecteur et du narrateur. Pour éviter que cette critique ne suive un chemin semblable, quelques éclaircissements s’imposent.

L’histoire est celle de Saül Weissmann, un vieil homme juif qui a survécu à la déportation et aux camps de la mort en 45. Alors qu’il est sur le point de se marier, Saül apprend qu’il n’est, en réalité, pas vraiment juif. Et ce, malgré soixante-dix ans passés dans le respect de la loi juive et sa déportation à Auschwitz. Cette déclaration du rabbin résonne aux oreilles du vieil homme comme une sentence et l’ébranle jusqu’au plus profond de son être. Cette négation de son identité l’entraine toujours plus loin dans une folie qui semble ne jamais devoir prendre fin.
Dédoublement de personnalité et paranoïa se mêlent à l’horreur des camps et à la peur, qui reviennent le hanter. Son esprit devient le théâtre d’un affrontement sans fin entre « les deux Weissmann » : d’un côté le Juif, attaché à son enseignement et à son devoir de mémoire, et de l’autre le non-Juif, dont la soif de liberté le conduit à l’antisémitisme radical.

Pourtant, Interdit n’est pas un roman sur la judéité. C’est un roman sur un homme qui passe sa vie à passer d’une prison à une autre. Celle des camps, puis sa propre prison, celle de sa condition juive, de ses devoirs, et enfin celle du mariage. Un emprisonnement de soixante-dix ans qui débouche sur une névrose destructrice et libératrice.

Malgré ce sujet extrême, le texte ne verse pas dans l’invraisemblance ou le ridicule. Es nombreuses exagérations et répétitions sont justifiées car elles ne sont que le symptôme de cette folie qui ronge l’esprit de Weissmann. Le thème de la déportation, d’abord présent en filigrane, se fait de plus en plus présent, imposant, percutant voire envahissant à mesure que les obsessions du narrateur se développent. De façon paradoxale, ce sont les passages caricaturaux qui fondent le réalisme de l’histoire, tout en apportant une dimension comique, comme le montre ce passage sur le chat de Saül, qui introduit le sentiment de persécution du vieil homme : « Je me sentais désemparé : c’était la première fois qu’il m’agressait ; jamais il n’avait eu le moindre geste antisémite à mon égard. » Par la suite, ce délire « d’agression antisémite » va s’étendre au personnage lui-même à travers sa double personnalité, transformant ses tentatives de suicide en tentatives de meurtre contre « son Juif ». D’autres passages, encore, jouent sur des variations brusques dans la syntaxe et la ponctuation, accentuant encore le propos pour entrainer le lecteur dans les délires de Weissmann.

Interdit est donc un texte surprenant, mais surtout intelligent, qui se lit à la fois avec plaisir et un sentiment de malaise.
Sentiment qui sera bien vite dépassé avec la dose de second degré nécessaire pour apprécier ce texte comme il le mérite.