jeudi 13 janvier 2011

Fils d'Heliópolis, James Scudamore

« Parfois, j’ai envie de fuir cette existence à laquelle j’ai été promu, pour aller vivre au bord de l’océan. […] Et puis je songe à ce que je pourrais être aujourd’hui si Zé et Rebecca ne m’avaient pas adopté. Catador, fouilleur de poubelles, zigzaguant entre les files de voitures, avec son tombereau de ferraille ? Marchand de barbe à papa déambulant pieds nus dans les jardins publics ? »

Ludo Dos Santos est le fils d’Heliópolis, une favela à São Paulo au Brésil. Alors qu’il était bébé, il a été recueilli avec sa mère par Zé Carnicelli, un homme d’affaire influent qui a été ministre durant quelques années.

Dans un récit à la première personne, Ludo remonte progressivement le fil de son enfance, révélant les contradictions qui pèsent sur sa vie. L’enfant des bidonvilles a échappé à la misère, la violence et les drogues par une chance extraordinaire, quand Rebecca, l’épouse de Zé, l’a rencontré lors d’une action humanitaire. Et pourtant il ne se sent pas appartenir au monde stérile et cloisonné d’Angel Park, la résidence surprotégée de São Paulo dans laquelle la famille Carnicelli évolue.

Après une enfance paisible, Ludo a fait des études prestigieuses aux États-Unis. À vingt-sept ans, il pourrait se targuer d’être publicitaire dans une grande agence. Mais son métier, bâti sur l’abus des pauvres, le dégoûte profondément.

Ludo entretient depuis plusieurs années une relation sans avenir avec la fille de Zé, Mélissa, dont le mari Ernesto, est toujours absent du domicile conjugal. Ludo est prisonnier de cet amour obsessionnel qui l’empêche de s’épanouir ; il n’est nécessaire à Mélissa que lorsqu’elle se sent abandonnée par Ernesto.

Par ailleurs, afin de façonner sa vie comme il l’entend, le charismatique Zé manipule ses proches et leur interdit de faire leurs propres choix. Ludo ne s’affranchit pas plus que Rebecca et Mélissa de ce paternalisme oppressant. Sa vraie mère refuse d’évoquer le passé, tant elle est honteuse de n’avoir pu sortir seule son enfant des bidonvilles. Les silences de la mère et l’absence du père génétique enferment le jeune homme dans une vie qu’il ne parvient pas à s’approprier, faute d’identité. Surtout, Ludo grandit dans le mythe du petit favelado sauvé de la pauvreté, s’en pouvoir se projeter vers l’avenir, comme si cette chance exceptionnelle l’obligeait à ressentir une reconnaissance éternelle envers la société de riches qui l’a recueilli. Et cette reconnaissance se fissure lorsqu’il découvre que son enfance est construite sur les mensonges.

Le second roman de James Scudamore, traduit de l’anglais par Anne-Marie Carrière, est raconté dans un langage simple, sans poésie, mais souvent tranchant. Il nous emporte au cœur des contradictions du capitalisme, brassant les quotidiens diamétralement opposés des riches circulant en hélicoptère pour aller au travail et des favelados enterrés dans les bidonvilles.

Dans cet univers où les faux semblants planent, Ludo est un pion. Et jusqu’à la dernière page, le lecteur est pressé de dénouer les fils qui le retiennent en marge de sa propre vie.

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