lundi 10 janvier 2011

Incident de personne, Eric Pessan, Albin Michel, août 2010.

« Incident de personne ». Trois mots (trop) souvent employés par la SNCF. Trois mots pour désigner un acte désespéré, une mort volontaire. Trois mots qui forment une expression dérangeante, et destinée à ‘camoufler’, en vain, l’horreur.

C’est pourtant le titre qu’a choisi Eric Pessan pour son cinquième roman. Cet écrivain français, auteur de romans et de pièces de théâtre mais aussi animateur de rencontres littéraires et d’ateliers d’écriture, ne cache rien de ses intentions : un incident de personne sera l’élément perturbateur de son histoire et servira de toile de fond.

En pleine campagne sarthoise, un TGV Paris-Nantes se retrouve soudainement bloqué. Après quelques minutes, durant lesquelles l’incompréhension s’empare des voyageurs, l’annonce tombe : « suite à un incident de personne, notre train est arrêté en pleine voie. » L’attente sera longue. Le narrateur, dont on ne connaîtra jamais l’identité, est un homme fatigué moralement et physiquement qui rentre d’un voyage à Nicosie, en Chypre, où il a animé un atelier d’écriture. « J’ai prié pour que vous n’ayez aucune histoire à me confier. Je ne suis plus apte à entretenir une conversation, encore moins à écouter des confidences. Je déborde. » ( p. 9) Ce furent les premières pensées de ce passager lorsque sa voisine s’est assise à ses côtés. « Je déborde. » Mais de quoi déborde-t-il ? Cet incident réveille chez le narrateur, jusqu’à alors resté silencieux, de nombreux souvenirs. Comme une éponge, cet homme, après avoir absorbé trop de malheurs, n’en peut plus et doit à son tour, déverser son contenu. « Des souffrances, des violences, des enfers j’en ai récolté de quoi encombrer mes rêves à tout jamais. » (p. 86) Au fil des pages, le narrateur va livrer, à sa voisine, tout ce qu’il a en lui, toutes les histoires confiées lors de ses ateliers d’écriture.

La conversation prend très vite la forme d’un monologue, le wagon celle d’un confessionnal. L’histoire se présente comme un huit-clos. On ressent d’ailleurs les influences théâtrales qui s’exercent sur Eric Pessan: les trois caractéristiques de la tragédie sont présentes (unité de lieu, de temps et d’action). Le thème du suicide nous guidait déjà vers cette voie. Le langage est clair, simple ; l’écriture est fluide. Le livre se lit facilement, l’utilisation du « je » et du « vous » n’est pas dérangeante. Au contraire, celle-ci nous plonge totalement dans les pensées du narrateur : tantôt le lecteur prend la place de cet homme et s’entretient directement avec la femme assise à ses côtés, tantôt c’est dans le rôle de cette dernière que le lecteur se retrouve.

Eric Pessan ne se contente pas de nous relater, tour à tour, les histoires et les malheurs confiés au narrateur. Il s’interroge sur le moteur et le rôle de l’écriture, mais aussi sur l’existence et la mort, et invite le lecteur à en faire de même. L’objectif est atteint. On ne peut rester insensible à toutes ces histoires qui encombrent l’esprit du narrateur, et qui en font de même chez le lecteur, le temps de la lecture, et plus encore. Il y a des histoires trop lourdes à porter. Combien d’entres-elles sommes-nous capables d’écouter ? De garder en nous ? L’écriture permet-elle de se décharger de la douleur qu’elles procurent ?

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