dimanche 11 octobre 2009

Sylvie Germain, Hors champ, éditions Albin Michel, 2009


Où l’auteur fait disparaître son héros, qui devient flou, sort du cadre petit à petit, pour ne plus être que le hors champ du roman…



Aurélien, 49 ans, se réveille ce dimanche matin avec une étrange sensation « il est tout noué, avec une impression de poids sur le plexus », il a mal dormi ses muscles sont chiffonnés. Le reste de la journée ne semble pas s’arranger : il se brûle la langue avec ses raviolis, son ordinateur contenant des données précieuses le lâche. Ce dimanche est vite considéré comme maudit par Aurélien qui conclu sa journée avec cette réflexion « les choses sont de mauvais poil aujourd’hui ». Mais le lendemain se révèle plus étrange encore : le chauffeur de bus fait mine de l’ignorer, les passants lui rentrent dedans sans s’excuser et même ses collègues oublient de l’appeler pour la pause déjeuner.
Serait-ce aujourd’hui la journée mondiale de la goujaterie ?

C’est dans ce type de pensée qu’est plongé Aurélien quand il réalise qu’il disparaît progressivement aux yeux du monde. C’est au départ la réflexion d’un de ses ami qui l’étonne « tu sembles tout chiffonné comme si tu étais flou ». Mais c’est finalement lorsque sa petite amie, Clotilde, qui l’a superbement ignoré pendant des heures, lui marmonne négligemment qu’elle le trouve elle aussi flou, «comme brouillé» que le doute s’empare de lui. Plus les jours passent et moins la présence physique d’Aurélien est tangible. Son image disparaît des photos de famille, sa voix se fait imperceptible, et même sa mère semble oublier jusqu’à sa présence.

Le lecteur quelque peu désemparé par cette situation pourrait être tenté d’invoquer ses lectures antérieures : Le Horla de Maupassant, La Métamorphose de Kafka, ou le plus récent La Salle de bain de Jean-Philippe Toussaint pour comprendre ce roman. Se dire que le héros est fou, qu’il ne disparait qu’à ses propres yeux. Ou encore que l’auteur use et abuse du surnaturel, que la disparition du personnage principal est une allégorie ou une métaphore, une figure de style au service des idéaux de l’auteur. Mais là, point de retournement de situation rassurant ni même d’explications, l’auteur ne nous laisse pas le moindre indice pour nous aider à décrypter ce récit ; le malaise et le sentiment d’incompréhension restent persistants tout au long de la lecture. Sans raison particulière, le héros devient flou, sort du cadre petit à petit, pour ne plus être que le hors champ du roman…

Le texte dure sept jours, il est construit sur le même rythme que l’Histoire de la création, c’est une genèse à l’envers. Sylvie Germain détricote le monde. L’auteur revendique son statut de démiurge et fait de son héros une poupée sans défenses. Car ce qui parait le plus déroutant au lecteur, c’est que le héros ne se débat pas, alors même qu’il se sait disparaître. Il ne semble jamais se rebeller contre sa situation alors que la violence de l’événement est extrême.
Comme dans les tragédies de Sophocle on a l’impression que le message de l’auteur est « ne vous débattez pas pauvres mortels, les dieux sont maîtres absolus de vos vies et de votre destin ». Ce manque de rébellion en fait un livre quelque peu morose qui laisse un goût amer dans la bouche, que même l’humour caustique de l’auteur ne semble pas pouvoir nous ôter.

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