jeudi 8 octobre 2009

La clé de l'abîme, José Carlos Somoza

La clé de l'abîme, de José Carlos Somoza, traduit de l'espagnol par Marianne Million, paru aux éditions Actes Sud en Septembre 2009.

Il y a des secrets qui sont difficiles à garder ! Et quand ce secret révèle l'emplacement d'une « clé » qui pourrait détruire Dieu, le conserver devient impossible. Lorsque l'employé de train Daniel Kean reçoit cet arcane de la bouche d'un kamikaze, il ne se doute pas que sa vie vient de basculer dans un abîme sombre où il lui sera très difficile de ressortir. Il est alors tour à tour manipulé par deux groupes qui convoitent ce qu'il sait, quitte à commettre les pires exactions. Seulement, ce secret, Daniel Kean ne s'en souvient pas...

Fortement inspiré des « Mythes de Cthulhu » de H. P. Lovecraft, ce roman s'inscrit dans un univers plus fantastique et futuriste que son modèle, beaucoup plus proche de l'héroic fantasy. Les quatorze chapitres de la « Bible » des croyants (texte sacré du roman) font d'ailleurs directement référence aux quatorze chapitres des « Mythes de Cthulhu ». On retrouve également le concept récurrent de l'eugénisme du « Meilleur des mondes » de Huxley, avec des êtres humains uniquement fécondés en laboratoires suite à une catastrophe nommée « La Couleur » (qui peut s'apparenter ici à plusieurs explosions nucléaires). De plus, il existe une nuance entre les hommes biologiques (des êtres humains semblables à l'homme actuel) et les hommes de conception (qui se rapprochent des clones avec leurs morphotypes similaires et leurs apparences androgynes).

Le plus intéressant dans cette fiction n'est pas l'intrigue, mais véritablement l'univers que développe l'auteur autour de son histoire. Habitué des romans fantastiques, José Carlos Somoza conserve cette poésie qui lui est propre tout en introduisant la question de la croyance. Cette « clé de l'abîme » n'est ni plus, ni moins, qu'une façon de contrôler la peur des hommes ; car si sans croyances les hommes éprouvent de la peur, la présence de Dieu leur inspire une crainte plus grande encore. Les hommes ont besoin d'éprouver un sentiment qui les rend vulnérables pour ne pas s'autodétruire. L'intérêt de ce roman porte sur des questions existentielles actuelles telles que la création de l'homme parfait avec la génétique et surtout la remise en cause de l'existence de Dieu qui reposerait sur une gigantesque affabulation.

La traduction du texte est satisfaisante dans son ensemble car ce n'est pas dans sa construction narrative que le roman innove. L'auteur fait voyager ses lecteurs entre des réalités géographiques, que sont l'Allemagne, le Japon ou la Nouvelle-Zélande, tout en conservant cet aspect surnaturel. La Vieille Tour de Tokyo en est le parfait exemple car elle représente un lieu sombre et effrayant, telle une Tour des âmes. Pourtant, cette relative simplicité narrative est par moment perturbante pour le lecteur, qui ne sait plus vraiment où sont les personnages, ni ce qu'ils cherchent à faire. Si le suspens est bien présent,  il s'avère certaines fois facile à anticiper et d'autres fois tellement obscur que même son dénouement n'est pas parfaitement compréhensible. Les personnages sont inégalement construits ; autant trois des personnages centraux dont le héros Daniel sont particulièrement développés, autant d'autres protagonistes restent trop à l'écart. Quant aux méchants, ils sont incomplets. Le personnage de Moon (que l'on rencontre dès les premières pages du roman) aurait mérité une plus grande implication dans l'histoire car son sadisme fait de lui quelqu'un de détestable. Pour ce qui est du « Maître » (le « grand méchant » de l'histoire), on ressent trop peu sa présence dans le roman; on en parle beaucoup, mais en définitive « La Vérité » (un archétype du méchant) joue un rôle plus important. C'est d'autant plus frustrant pour le lecteur de se confronter à un tel anti-héros et de ne l'apercevoir en tout et pour tout deux fois dans toute l'histoire sur un livre de près de quatre cent pages. On peut aussi trouver curieux le côté un peu hédoniste assez étrange auquel se livrent les hommes de conception (aussi bien entre hommes qu'entre hommes et femmes) en recherchant l'orgasme pour atténuer leurs peurs, le tout en se parant de collants moulants de couleurs très vives. Mais quelque part cela peur refléter les sociétés actuelles ou le plaisir physique et l'amour moral sont dissociés.


Ce livre démontre à quel point tous les éléments d'un roman doivent êtres travaillés parfaitement pour un équilibre. L'univers fantastico-futuriste est particulièrement bien développé et l'ambiance sombre qui plane sur l'histoire permet au lecteur une immersion totale dans ce monde fictif et dans cette fausse croyance qui ne paraît pas un seul instant déplacée. Et d'un autre côté, le mystère trop complexe autour des deux antagonistes centraux que sont « La Vérité » et le « Maître » laisse le lecteur sur sa faim. Il y a ce sentiment d'un récit inachevé. Tel un Dieu, ce livre a plusieurs faces, et pour tuer un Dieu, il faut plusieurs clés. Dans ce roman, il aura manqué au lecteur d'autres clés pour espérer toucher le divin.

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