mercredi 21 septembre 2011

Les multiples coeurs de Sacha Sperling (Les Coeurs en skaï mauve, Fayard 2011)

Cœur à part dans une famille de cinéastes – et pas des moindres puisqu’on peut citer des grands noms comme Diane Kurys, Alexandre Arcady et l’indigeste Alexandre Aja – , Sacha Sperling affirme son talent d’écrivain avec son deuxième roman, Les Cœurs en skaï mauve. Mais cette fois-ci, il ne s’agit plus du parcours chaotique d’un collégien (Mes illusions donnent sur la cour, Fayard 2009) : le thème et l’univers sont d’un autre registre.

Jim, parisien solitaire, partage son temps entre son travail dans un vidéoclub et les kilomètres sans but au volant de sa Clio, revivant à sa manière un Sur la route moderne et décalé. C’est au hasard d’une soirée qu’il rencontre Lou, jeune femme sublime et paumée qu’il entraîne à sa suite dans une courte aventure qu’on peut qualifier d’initiatique, aux odeurs de fast food et d’hôtels bon marché, teintée d’un lointain rêve californien.

Mais au-delà de cette intrigue par ailleurs très épurée et secondaire, c’est une atmosphère qui s’empare de nous dans le livre. Ces deux personnages à part nous rappellent inévitablement une partie de nos penchants et instincts refoulés ; ils sont en quelque sorte le « prétexte » de multiples échanges, réflexions, descriptions parsemés de références et de métaphores aussi frappantes qu’inattendues. Tout cela soutenu par un rythme saccadé : les paragraphes et les chapitres s’enchaînent à une vitesse folle, l’italique marque indifféremment les pensées de l’un ou de l’autre ainsi qu’une voix-off omnisciente… Les dialogues, quant à eux, interviennent sans prévenir. Mais cette structure désarticulée nous donne un calme étrange, comme celui que l’on trouve en filant à toute vitesse sur une autoroute. La vue fatigue mais l’esprit s’échappe, créant cette sensation qui laisse arrière-goût de changement et de fraîcheur. Quant à l’histoire d’amour, celle de doux-dingues en recherche d’eux-mêmes et qui reste l'axe principal du roman, elle est, bien au delà des situations peu glorieuses voire carrément glauques, réellement embellie par cette multitude d’échanges et de réactions à la fois troublants et résonnants d’une certaine vérité. Sperling colore et rafraîchit, ni dans le rire ni dans le pathétique, ni dans la philosophie ni dans le vulgaire, ni dans le rose ni dans le violet. Merci Sacha, donc. Et maintenant qu’on te connaît… « eh ben on te connaît. Et peut-être que si t’as de la chance, on t’oublie pas. »

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