mercredi 21 septembre 2011

"Allez savoir ce qui se passe dans la tête d'un joueur" ou dans celle d'Amélie Nothomb

Depuis 1992, année de publication d’Hygiène de l’assassin, Albin Michel est assuré de publier un succès à chaque rentrée littéraire grâce à mademoiselle Nothomb. Depuis dix-neuf ans déjà, elle écrit dans tous les genres, notamment autobiographique (Stupeur et tremblement) ou science-fiction (Péplum) sur tous les sujets, de l’homosexualité (Le Sabotage amoureux) à la folie (Journal d’Hirondelle) en passant par la guerre (Une forme de vie) avec autodérision, humour et poésie. Son millésime 2011, Tuer le père, s’annonçait donc digne de ses prédécesseurs. Il n’en est rien.

Tuer le père commence quand l’auteur, qui se met en scène comme dans nombre de ses romans, voit dans une soirée les deux plus talentueux prestidigitateurs américains, Joe Whip (trente ans) et Norman Terence (cinquante ans). Elle remarque avec surprise que Norman regarde Joe jouer au poker avec insistance. On lui raconte leur histoire, une histoire de magie, de duperie, de non-dits, de jeu et d’amour paternel. L’ensemble s’annonçait donc intéressant. Seulement, dans cet opus, l’effet Nothomb ne prend pas. L’histoire est creuse et presque soporifique. Les personnages sont assez plats et faibles dans leurs agissements, ils ne donnent aucune raison particulière de les apprécier. Le thème du jeu et de la tricherie, omniprésents, sont bien rendus et prenants, il y a quelques jolis moments et un retournement de situation final assez surprenant mais ils ne suffisent pas à rattraper l’ensemble. Quelle déception !

Sur la couverture présentant comme d’habitude son portrait, Amélie Nothomb est représentée par un collage papier au feutre noir sur des pages de Biographie de la faim. Une invitation à relire ses bons titres en espérant que la prochaine cuvée soit meilleure?

L'Équation africaine par Yasmina Khadra chez les éditions Julliard. Mauvais calcul ?

« Afrique, mon Afrique, tu m’a mis la mort dans une main et le tort dans l’autre »

Vous pensiez tout connaître sur les méandres de l’horreur en Afrique ? Yasmina Khadra vous prouve à nouveau le contraire ! Après sa fameuse trilogie du Grand Malentendu nous avons maintenant affaire dans L’Équation africaine, à Kurt, un médecin originaire de Frankfurt, et à Bruno un Français ancré dans la culture africaine depuis des années. Âmes sensibles s’abstenir ! L’auteur nous plonge ici dans une conception de la vie bouleversante où les deux personnages principaux vont vivre une série d’épreuves dramatiques.

L’Afrique, une terre de polémique ? « Là où vous brossez un conte de fées, je vois un désastre ». Dans un monde où tout oppose Orient et Occident, on assiste à cette rencontre improbable entre les deux personnages qui donne lieu à de nombreux débats philosophiques sur l’existence et la vie puisqu’ils ont un état d’esprit totalement différent sur le mode de vie africain. L’un se laisse voguer sur les eaux de l’inattendu et de l’espoir tandis que l’autre se noie dans un pessimisme profond.

Ce qui va réunir Kurt et Bruno c’est leur combat perpétuel face à la mort et plus précisément face à leurs ravisseurs. Ils se font enlevés par des pirates somaliens et sont amenés à subir des conditions de vies déplorables dans un milieu ou le sang et la guerre sont des éléments quotidiens.

Si L’Équation africaine dresse un tableau affolant bien que réel de l’Afrique noire, on ne peut qu’être attendri par Kurt et Bruno qui parviennent toutefois à profiter du peu qu’il leur reste, des bonheurs simples comme la splendeur d’un paysage ou le sourire d’une femme et des rencontres surprenantes. Malgré les horreurs de la guerre, on constate qu’une expérience traumatisante au fin fond de l’Afrique peut donner lieu à une renaissance de l’âme, à une reconstruction de l’être : « je suis passé de l’existence à la vie .»

Ce continent réserve à quiconque s’y aventurera de multiples surprises et découvertes, c’est du moins ce que montre Yasmina Khadra dans cet ouvrage d’une simplicité de lecture étonnante.

Le pacte des vierges - Vanessa Schneider – Éditions Stock

Un roman construit comme une interview qui flirte avec le texte documentaire. En effet, Vanessa Schneider est avant tout journaliste politique, auteure d’un essai et d’un film documentaire. Elle publie un premier roman, une autobiographie, en 2008, puis un second en 2009. Avec ce récit, elle mêle brillamment journalisme et quête émotionnelle.

Une auteure, mère de trois enfants décide de rencontrer quatre jeunes filles au cœur d’un fait-divers et de faire de leur histoire un roman. En 2008, une révélation scandalise l’Amérique, dix-sept lycéennes de la ville de Gloucester (35 000 habitants) dans le Massachusetts, toutes âgées de moins de seize ans, attendent un enfant. Grossesses accidentelles ou volontaires ? L’opinion publique s’offusque de la situation tout en créant le buzz autour de cette affaire, quitte à harceler et déstabiliser les futures mères.

Au cours du récit, notre auteure-journaliste ne prend jamais la parole, les propos des filles permettent cependant de deviner ses questions et réactions. L’affaire nous est donc dévoilée à travers les voix de Lana, Sue, Cindy, Kylie, qui se succèdent à chaque chapitre. Les jeunes filles assaillies par les journalistes pour parler de leur grossesse sont sceptiques, Lana, la meneuse du groupe accueille froidement l’auteure et filtre les informations transmises. L’existence d’un pacte est ainsi niée. Mais peu à peu le véritable intérêt humain de l’auteure pour cette affaire et surtout la détresse des futures mères ont raison de leur mutisme. Le lecteur reçoit ainsi les éléments au compte-gouttes, sans ordre chronologique, ni liens entre les différents éléments.

Au fil des pages le livre aborde une dimension plus psychologique, le fait divers est occulté pour plonger dans le quotidien de la grossesse moins agréable que ce à quoi les adolescentes s’attendaient (les nausées, les envies pressentes, la prise de poids importante). Les jeunes filles désormais en confiance avec l’auteure réfléchissent à leur situation, leur bébé tant désiré devient de plus en plus réel et les angoisses surgissent. Le passage rapide et presque violent du statut de fille à celui de mère est mis en avant, occultant ainsi celui de femme. Les blessures d’enfances éclaboussent l’auteure malgré elle, cette grossesse apparaît comme un but, un espoir, c’est une revanche, un moyen de ne pas lâcher la vie. Ces quatre jeunes filles nous apparaissent à la fois fortes et terriblement fragiles, elles livrent leur histoires, un père absent et une mère mutique pour Lana, Cindy abandonnée par sa mère, Sue nombril d’une famille puritaine et étouffante de bonne conscience teintée d’hypocrisie, Kylie affublée d’une mère enfant superficielle sur qui elle ne peut pas compter.

Le jugement que l’on peut porter sur ces jeunes filles se mue en compréhension au cours du récit, par ailleurs, Vanessa Schneider n’épargne pas sa profession : les médias apparaissent comme des vautours, en perte d’humanité, prêts à tout pour obtenir l’exclusivité.

Le modèle de santé américain, est également mis à mal, faute d’argent aucune des jeunes filles n’est suivie par un médecin. L’accent est mis sur une société hypocrite qui se veut un symbole de réussite et de bonne conscience mais se révèle parfois être un univers de détresse et de persécution. Loin d’être une incitation au pathos et à l’apitoiement, ce roman est le vecteur d’un message politique et social illustré par un cas réel. Mais c’est avant tout un livre sur le quotidien de tant de personnes qui échappent à une réussite standardisée sans perdre de leur humanité et de leur intérêt.

Drames d'une famille parfaite, dans Rien ne s’oppose à la nuit, de Delphine de Vigan, chez JCLattès.

Rien ne s’oppose à la nuit est le sixième ouvrage de Delphine de Vigan. Dans ses titres précédents, elle avait déjà distillé par bribes la personnalité de sa mère, mais en l’atténuant, comme dans No et moi.

Cette fois, sa famille est le sujet principal de l’ouvrage, et plus particulièrement sa mère. Pour cette biographie, elle se fonde sur ses propres souvenirs, mais également sur des interviews des membres de sa famille, avec toujours ce souci de raconter « sa » Lucile, sa mère telle qu’elle l’a connue. Écrire cette biographie était un réel besoin pour Delphine de Vigan, une obligation, pour mieux comprendre pourquoi elle-même tentait toujours d’être différente en tant que mère.

Pour la petite histoire, cet ouvrage nous plonge dans la vie d’une famille nombreuse en apparence heureuse, mais qui a vécu de nombreux drames, comme le décès accidentel du jeune Antonin, à six ans (l’origine des malheurs de cette famille), des suicides, un possible inceste, le handicap, etc. Ces évènements ont marqué chaque membre de la famille, mais ils se sont tous plus ou moins relevés de ces drames, certains moins bien que d’autres.

Delphine de Vigan évoque à de nombreuses reprises une biographie de Lionel Duroy, Le Chagrin, qui, en révélant son enfance et les travers de ses parents, est aujourd’hui détesté par sa propre famille. C’est pourquoi elle se demande souvent si évoquer tel ou tel pan de la personnalité d’un proche est dérangeant pour les autres, puisque chacun a sa propre perception de ces histoires de famille.

Le récit alterne entre la première personne du singulier, lorsque Delphine de Vigan intervient dans l’histoire, avec ses souvenirs et son avis, et la troisième personne du singulier, lorsqu’elle imagine la vie que sa mère devait avoir, en mettant toujours en évidence qu’il s’agit de sa propre interprétation, et en aucun cas une vérité établie. Elle établit donc une distinction entre la fiction et ses souvenirs réels.

La folie, l’absence d’une mère en tant que telle sont des thèmes récurrents, puisque l’auteur elle-même fait tout pour ne pas ressembler à cette mère, tout pour ne pas avoir la même attitude envers ses filles, quitte à les surprotéger.

Cet ouvrage montre le coté sombre d’une famille « ordinaire », ses bons et mauvais moments, sans tomber dans le voyeurisme. On partage ses malheurs, on souffre avec ces personnes réelles, car la fin est déjà expliquée au début de l’ouvrage, telle une tragédie antique.

Ainsi, on anticipe chaque drame, tout en espérant se tromper.

Du domaine des murmures, histoire d'une jeune fille entre quatre murs par Carole Martinez, Éditions Gallimard (2011).

   Douce Esclarmonde, veux-tu m'épouser ?
   Que nenni ! Je préfère m'emmurer.

 Nous sommes en 1187, en plein Moyen Âge. Vous êtes jeune et vive, toute pimpante, princesse du domaine des Murmures et vous allez bientôt devenir la promise - on ne vous demande pas votre avis - d'un coureur de jupon, arrogant : un certain Lothaire de Montfaucon.
« Comment échapper à cette destinée sinon avec l'aide du Christ ? »

 Esclarmonde n'a que quinze ans lorsque son père décide de la marier. Mais contre toute attente, elle ose dire « non » et devant la noce scandalisée, fait le choix de s'offrir à Dieu ; seul capable « de tenir les hommes en échec et leur arracher une vierge ».

 Dans « Esclarmonde », il y a le mot « éclat ». Un prénom porté à merveille par cette jouvencelle au caractère bien trempé, très mature pour son âge et maîtresse de son destin. Le voeu qu'elle prononce est sans retour, sa décision irrévocable. Elle sera emmurée vive, en parfaite communion avec son nouvel amour : le divin, et pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux – qui dit mieux ? « Cette bouche de pierre est devenue la mienne, mon unique orifice. »

 Étrangement, c'est un livre dans lequel on voyage : à travers les récits de ceux qui lui rendent visite d'abord, puis à travers sa foi, sa quête de spiritualité, facilement partagée grâce à l'emploi judicieux de la première personne du singulier. Le style est fin, presque sensuel. L’écriture glisse, les mots filent…comme un murmure. « Je suis l’ombre qui cause. Celle qui s’est volontairement clôturée pour tenter d’exister. Je suis la vierge des Murmures ».

 L’expérience est réussie, tout à fait « mystique » et « charnelle » comme nous l’avait promis la quatrième de couverture. Le lecteur, témoin de la nature parfois cruelle des hommes, est transporté au cœur des superstitions et des légendes d’une époque moyenâgeuse révolue. Après son premier roman Coeur cousu, Carole Martinez fait son grand retour, sous les traits d’une magicienne. Et nous nous garderons bien de réveiller tous les secrets de ce nouvel opus, ensorcelant jusqu’à la moelle !

Un avenir, Véronique Bizot

Un avenir est le deuxième roman de Véronique Bizot, succédant ainsi à Mon couronnement (Actes Sud, 2010) reçut le prix Lilas.

Véronique Bizot nous dépeint l’univers familial d’une fratrie, composée de trois sœurs et deux frères, que tout oppose, incapables de se comprendre, et de fuir ce carcan familial qui les lie malgré eux. La demeure familiale est au sein même d’un étouffement général, il leur est impossible de fuir cette maison. Odd, qui y vit désormais seul, envoie une lettre à son frère jumeau, Paul, pour le prévenir de son départ. Il lui demande en post-scriptum d’aller vérifier un robinet de la maison familiale qu’il craint ne pas avoir purgé. Paul s’engage donc dans un voyage qui va le replonger dans les souvenirs de son enfance. Il a conscience que le départ de son frère est intimement lié à la maison dans laquelle ils ont grandi. Pour la fratrie, « celui qui resterait vivre là était à plus ou moins brève échéance condamné au dépérissement ».

La lettre d’Odd est un appel de détresse à sa famille, seul son frère jumeau en prend la pleine mesure.

Paul parcourt la maison familiale de pièces en pièces, vagabondant parmi les souvenirs qui s’y accrochent. C’est avec lucidité qu’il fait le point sur chacun des membres de sa famille, dont il décrypte les angoisses et névroses. Ils semblent tous animer par une peur de l’abandon, de l’échec. Ils pratiquent la fuite en avant, afin de s’éloigner de cette demeure familiale maudite.

Un avenir n’est pas que la synthèse des tourments, des craintes et de la folie de l’homme, c’est aussi une note d’espoir sur la possibilité d’un avenir tout autre à condition que nous le prenons en main comme le fait Paul à la fin de ce roman.

Ce roman se lit d’un trait, il nous laisse l’impression qu’une noirceur irradie tous les hommes mais que chacun s’emploie, du mieux qu’il peut, à la cacher aux regards des autres.

Véronique Bizot est également l’auteur deux recueils de nouvelles, Les Sangliers (Stock, 2005), Les Jardiniers (Actes Sud, 2008).

Actes Sud, 104 pages, 15€

Vous êtes nés à la bonne époque, Matthieu Jung

« Je ne prétends pas que celles qui n’ont pas d’enfants sont des fleurs fanées [...] simplement moi si je n’ai pas mon deuxième, je peux examiner la question sous toutes les coutures, je dois admettre que ma vie perdrait son sens, c’est clair ça au moins ? »


Matthieu Jung, ancien libraire et auteur de La Vague à l’âme (Scali, 2007) et Principe de précaution (Stock, 2009), nous emmène cette fois au cœur des beaux quartiers de Paris dans son tout nouveau roman Vous êtes nés à la bonne époque.


Ce livre, écrit à la première personne, nous plonge dans l’univers et dans la tête de Nathalie Dumont, médecin de quarante-deux ans et mère d’une jeune fille de vingt-deux ans partie vivre aux Etats-Unis. Cette mère comblée habite un vaste appartement dans le quartier de la Bastille et a tout pour être heureuse. Divorcée et tout juste séparée, elle rêve d’un mari idéal et d’un deuxième enfant, ce qui finit par l’obséder.


Elle rencontre Arno Genic, peintre d’une vingtaine d’années, vivant de son art. Tous deux vont vivre une véritable idylle. Le désir d’enfant de Nathalie de plus en plus fort, leurs milieux sociaux, leur âge, leurs intérêts… Tout semble les séparer. Ou presque.


Ce roman très agréable et facile à lire, possède un style léger : nous sommes Nathalie, cette mère célibataire désespérée. En effet, l’auteur nous met dans la peau de son personnage tout au long du roman par l’utilisation du « je ». Nous savons tout de Nathalie, nous connaissons ses pensées, ses désirs, ses craintes. L’auteur utilise beaucoup d’expressions familières, on a réellement l’impression de lire les véritables pensées de Nathalie. L’humour est constamment présent.


L’histoire peut sembler tout à fait banale, mais les événements qui se déroulent dans les dernières pages la rendent complètement singulière et atypique. Cependant, on reste sur notre faim ; on a envie d’en savoir plus, d’apprendre ce qui va se passer ensuite, que l’histoire continue.


En définitive, ce roman est simple à lire, il possède un style léger et est idéal pour se détendre. Il propose une réflexion sur notre époque, sur nos automatismes de pensées, sur nos tics de langage, sur le temps qui passe trop vite…


(Matthieu JUNG, Stock, 2011)

Les multiples coeurs de Sacha Sperling (Les Coeurs en skaï mauve, Fayard 2011)

Cœur à part dans une famille de cinéastes – et pas des moindres puisqu’on peut citer des grands noms comme Diane Kurys, Alexandre Arcady et l’indigeste Alexandre Aja – , Sacha Sperling affirme son talent d’écrivain avec son deuxième roman, Les Cœurs en skaï mauve. Mais cette fois-ci, il ne s’agit plus du parcours chaotique d’un collégien (Mes illusions donnent sur la cour, Fayard 2009) : le thème et l’univers sont d’un autre registre.

Jim, parisien solitaire, partage son temps entre son travail dans un vidéoclub et les kilomètres sans but au volant de sa Clio, revivant à sa manière un Sur la route moderne et décalé. C’est au hasard d’une soirée qu’il rencontre Lou, jeune femme sublime et paumée qu’il entraîne à sa suite dans une courte aventure qu’on peut qualifier d’initiatique, aux odeurs de fast food et d’hôtels bon marché, teintée d’un lointain rêve californien.

Mais au-delà de cette intrigue par ailleurs très épurée et secondaire, c’est une atmosphère qui s’empare de nous dans le livre. Ces deux personnages à part nous rappellent inévitablement une partie de nos penchants et instincts refoulés ; ils sont en quelque sorte le « prétexte » de multiples échanges, réflexions, descriptions parsemés de références et de métaphores aussi frappantes qu’inattendues. Tout cela soutenu par un rythme saccadé : les paragraphes et les chapitres s’enchaînent à une vitesse folle, l’italique marque indifféremment les pensées de l’un ou de l’autre ainsi qu’une voix-off omnisciente… Les dialogues, quant à eux, interviennent sans prévenir. Mais cette structure désarticulée nous donne un calme étrange, comme celui que l’on trouve en filant à toute vitesse sur une autoroute. La vue fatigue mais l’esprit s’échappe, créant cette sensation qui laisse arrière-goût de changement et de fraîcheur. Quant à l’histoire d’amour, celle de doux-dingues en recherche d’eux-mêmes et qui reste l'axe principal du roman, elle est, bien au delà des situations peu glorieuses voire carrément glauques, réellement embellie par cette multitude d’échanges et de réactions à la fois troublants et résonnants d’une certaine vérité. Sperling colore et rafraîchit, ni dans le rire ni dans le pathétique, ni dans la philosophie ni dans le vulgaire, ni dans le rose ni dans le violet. Merci Sacha, donc. Et maintenant qu’on te connaît… « eh ben on te connaît. Et peut-être que si t’as de la chance, on t’oublie pas. »

À vol d'oiseau — Jim Lynch

À vol d’oiseau de Jim Lynch remporte à sa sortie un franc succès outre Atlantique. Il a été élu un des meilleurs livres de l’année en 2009 par Washington Post et le Wall Street Journal.Il arrive fraîchement traduit par Jean Esch (traducteur également de Michael Connelly, Patricia Cornwell…) aux éditions des Deux Terres.

À vol d’oiseau peint un portrait réaliste de cette Amérique conservatrice en guerre contre le trafic de drogue. On découvre le personnage de Brandon, jeune homme benêt et maladroit, nouveau dans la brigade de police chargée de la surveillance des frontières immatérielles dans cette région de campagne, alors que son père ne veut pas de lui pour reprendre son affaire de bovins.

Au fil des pages, le lecteur s’attache à ce héros ordinaire multipliant les arrestations avec une terrible insouciance de la cruauté inhérente à ce milieu de la drogue. Brandon subit depuis son plus jeune âge les railleries des villageois ne connaissant de lui que son physique disgracieux et son léger autisme. En mettant sous les verrous les trafiquants de cannabis, terroristes et clandestins, il devient, un justicier précieux pour tous. Car il était avant cela la cible de ses voisins et collègues, de vieilles peaux cyniques qui, dans ce petit milieu agricole, lancent et entretiennent des rumeurs et, consomment sans relâche le fruit du commerce illégal local : le cannabis.

Brandon est attachant, son personnage bien construit est d’une candeur extrême. Son amour pour la nature apporte beaucoup de douceur parmi ce monde parallèle illicite peuplé de politiciens et d’agents d’influence. Brandon trouve sa place petit à petit et prouve à la communauté qu’il a sa place parmi eux et notamment au sein de cette brigade de police où les caméras de surveillance viennent menacer les postes de surveillance de la frontière. Sa passion pour les oiseaux dont il énonce les noms lorsqu’il en croise vient apporter au roman un peu de légèreté, ce dont l’histoire manque cruellement parfois.

Le roman se lit bien, Lynch possède un style fort agréable, remarqué lorsqu’il publia son premier roman, Marée basse, avec un ton jamais vraiment grave. De l’humour et quelques rebondissements aident le lecteur à finir le roman qui traîne un peu en longueur parfois car malheureusement, À vol d’oiseau est un roman rempli de clichés sur l’Amérique en général avec une histoire très « à l’américaine » où les gentils triomphent toujours.